De quoi je parle
février 02, 2012
Mais non je ne te le dirai pas. N’insiste pas. C’est trop tard de toute façon. Ou alors trop tôt. Ce n’est pas le bon moment en tout cas. Tu vois bien que ça ne changera rien. Tu t’en doutes bien. Depuis le temps qu’on en est là, à ne rien se dire. A ne rien se dire vraiment. Et puis j’ai déjà essayé, souviens-toi. D’accord, j’ai fait ça n’importe comment. C’était très maladroit. Mais tu aurais pu faire un effort pour comprendre, quand même. Alors que non, tu as fait la sourde oreille. Tu as fait comme si je m’adressais à quelqu’un d’autre. Tu as fait comme si ça n’existait pas. Et maintenant tu voudrais que je te déballe tout comme ça? Que je balance, tout à trac, tout cela qui ne fut pas dit? Crois-tu vraiment que ce soit possible? Il y a trop de silence par dessus, trop de mots, trop de fatras. Et puis de toute façon tu t’en fous. Tu ne veux pas savoir, au fond. Ce n’est pas vraiment ton problème. Ou alors si, c’est peut- être un peu ton problème mais tu préférerais que ce problème t’oublie. Donc, tu ne veux pas savoir. Tu fais comme si, seulement. Et puis si tu voulais vraiment, tu n’aurais pas besoin de moi pour l’apprendre. D’ailleurs tu le sais déjà. Tu le sais depuis longtemps. Depuis toujours tu le sais et tu fais comme si de rien n’était. Et maintenant tu voudrais que je te le dise. Ça t’arrangerait que ça se passe comme ça. Que ce soit moi qui prenne la responsabilité de te le dire, comme si c’était quelque chose d’étranger à ta vie, comme si tu regardais la télé, et qu’on t’annonçait je ne sais quelle élection, je ne sais quelle catastrophe, à des milliers de kilomètres de toi. Tu voudrais voir comment ça brûle et garder la tête froide. Tu voudrais voir la crue tout emporter, et garder les pieds au sec. Tu voudrais que je te joue la scène comme ça, que je te le dise d’une manière qui ne te concerne pas. Alors je ne te le dirai pas. Car je ne veux pas, tu m’entends, je ne veux pas que tu puisses penser que cela ne te concerne pas.
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Abandon de la face
janvier 25, 2012
Se déplacer dans la foule dense : un tumulte, une eau qui ne coule pas dans un sens lisse et sûr, agitée qu’elle est de courants contraires. C’est comme si une bonde avide cherchait à aspirer la masse, mais ce mouvement d’attraction agit encore dans le chaos de la périphérie d’une trombe, et on avance comme ça, rapide, aveugle, censément libre, conduits pourtant vers quelque chose d’irrésistible. Nous sommes les atomes du rush hour.
Soudain devant soi, dans une balistique incontrôlable, arrive un corps pressé. Pour ne pas le heurter, vite on s’efface, c’est-à-dire que tout en continuant de marcher on s’escamote l’épaule. Et dans ce geste de nier sa largeur, de se mettre dans la position de l’égyptien, de face/de profil, on arrive à croiser l’autre sans heurt. Dromadaire traversant le chas d’aiguille invisible, impérieux. Ca passe, on est comme miraculé d’avoir évité le choc, choqué d’être indemne.
On continue et quelques mètres plus loin de nouveau le même mouvement, le même geste de devenir effilé, de tendre à l’unidimensionnel, pour passer sans ralentir. Nous ne sommes plus des personnes, nous sommes des lignes, des traits fendant le silence et le vide au coeur même ce qui gronde de vitesse et de matière.
Et poursuivre la course en pensant cela, que ce serait tellement plus simple si nous étions toujours sans largeur. Nous pourrions infiniment nous croiser sans jamais nous faire mal. Il faudrait être montés différemment, avec un tronc restant parallèle au sens de la marche et non perpendiculaire, des jambes plus fines et plus véloces, attachées à notre épaisseur et non à notre largeur, qui d’ailleurs ne serait plus notre largeur, mais notre profilage, comme l’on dit des véhicules aérodynamiques.
Seul hic : le pavillon des oreilles, par sa résistance à l’air, nous ralentit considérablement. Ce serait bénédiction d’amoindrir le rôle de cet entonnoir dans lequel se déverse tout le fracas du monde. Cet organe ne nous sert à rien, nous détourne de notre destination : cela qui nous tient lieu de volonté. Devenons sourds au monde, ne gardons que l’oreille interne, cette petite invagination, ce nombril de notre équilibre, nécessaire à maintenir notre trajectoire dans son axe.
Mais ce ne serait pas suffisant, car ainsi amincis et rendus plus véloces, moins accessibles à l’accident, nous conserverions quand même une zone de vulnérabilité, mise en première ligne par la disparition des oreilles : les joues. Nous pourrions nous les faire claquer beaucoup plus facilement, et tendre l’autre nous ferait perdre du temps. Nous pourrions en nous croisant nous mettre des coups de tête. Alors, il faut réduire la tête. En faire quelque chose seulement prévu pour diriger et fendre l’air. Une lame de couteau, voilà ce qu’il nous faudrait.
Nous avancerions par le nez, guidés par le fil invisible de nos contraintes, et jamais ralentis.
Il faudrait le débarrasser, ce nez de ses fonctions olfactives et respiratoires, ce ne serait qu’un soc nous ouvrant passage dans le réel. S’il faut respirer, respirons ailleurs, par le ventre directement, ou par le cul. L’odorat, en avant nous besoin? Un capteur d’ondes cinétiques nous serait plus utile.
Déléguer les yeux à nos côtés, y gagner comme les poissons une vue plus sûre sur nos arrières, ce qui n’est pas un faible avantage. Il faudrait y perdre, certes, la vision du relief, l’idée que le monde est profond, il faudrait se contenter de tout voir à première vue, qui serait la dernière.
Et puis la bouche. La bouche directement dans la main, pour raccourcir le processus de consommation.
Cette largeur, cette configuration centralisée de nos organes sensitifs, fait de nous des êtres lents et fragiles. Un visage, pour quoi faire? Il faudrait, pour évoluer mieux et sans accroc parmi nos semblables, nous passer de la face. Oh comme nous serions efficaces à rejoindre la bonde, transformés ainsi…
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L’infini d’ici là
janvier 15, 2012
Plaisir d’annoncer, avec un petit retard à l’allumage qui ne dit rien d’autre que mon manque de temps, la parution chez Publie.net du nouveau numéro de la revue d’Ici là, le numéro 8 très exactement, que sur la couverture l’on voit couché, non pas qu’au 8ème round l’écriture serait déjà sur le flanc, mais qu’elle profite de cette occasion donnée par le nombre pour le dévier un peu, et s’affirmer infinie.
L’infini ce n’est pas forcément grand, au sens où il ne s’agit pas de faire de la grande littérature, de la littérature qui s’enflerait du jabot. L’infini n’est pas la mesure de l’ampleur des panses. C’est une négation seulement, un refus qu’on puisse en rester là avec certaines questions, qu’on puisse se contenter d’un Ici là sans rajouter un d’. L’infini est une grammaire, celle qui préside à toutes les explorations.
Ceci pour faire un bref retour sur la belle journée organisée le 10 janvier à la BnF intitulée Pour un humanisme numérique, où la question nous fut posée, à Camille de Toledo, Sébastien Rongier et moi-même, des conséquences de nos tentatives d’écritures, qui risquaient l’inachèvement à vouloir sortir du livre et de sa complétude. Il y a ce risque, c’est vrai. Il y a ce risque de ne pas achever, mais il faut le prendre pour en éviter un autre plus grand, celui de ne pas accomplir. L’écriture échoue de toute façon à délimiter son territoire, tout au plus peut-elle s’aventurer à tracer des chemins.
Et c’est exactement de cela dont parle le numéro ∞ de la Revue d’Ici là, avec cette citation comme départ d’écriture à tous les textes : La forme d’une ville, hélas ! change plus vite que le coeur d’un mortel.
La forme d’une ville, ce n’est pas sa délimitation. La forme de l’écriture non plus.
Ceci posé, on peut tenter des choses, qu’est-ce que c’est, de l’écriture ou bien autre chose, on ne sait pas, mais voilà, j’ai par exemple proposé quelque chose dans ce numéro, quelque chose que je n’ai pas écrit, mais dont j’ai gardé seulement une trace sonore, juste l’expérience de déambuler dans la ville munie du petit dispositif micro-oreillettes de mon téléphone, et de parler dedans, de parler de ceux là qui parlent aussi en marchant dans la ville, mais sans oreillettes, parce que précisément ils ne sont plus attachés à aucun interlocuteur, et que leur parole se déverse infiniment dans l’espace urbain, se déjette, sans écoute et sans recueil, formant viles paroles, ville parole.
Ceci posé on peut explorer, accepter d’aller là où on ne sait pas, et cela aussi la revue d’Ici là le permet dans sa lecture, chaque texte comprenant des tunnels souterrains, liens, vers tel ou tel autre texte du recueil, les mettant en écho, en correspondance, déjouant les déambulations par grands axes et boulevards pour proposer d’autres perspectives.
Alors, lecteurs, courez vous perdre infiniment. C’est ici.
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Errance d’un mot – Brigitte Célerier
janvier 05, 2012
Faire un vase communicant avec Brigitte Célérier , c’est un peu comme faire une potion magique avec la fée Mélusine, on est sûr que ça va être magique. Donc, voilà, c’est ma chance pour débuter l’année 2012, elle chez moi et moi chez elle.…
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Regarder le mot matière, s’effarer de l’ampleur, ajouter un s pour circonscrire, cerner, mais ne savoir toujours pas par où le prendre – rêvasser, se dire :
ce pourrait être, tu sais : matières : les paysages ou les tables de Dubuffet, ou, tiens… plutôt les empreintes : «La plaque était rarement lavée. Une épaisseur incertaine d’encre sèche où s’étaient immobilisés les grains de sucre ou de semoule et les balayures de lingerie dont je faisais alors usage la revêtait légèrement. J’étendais l’encre par dessus sans m’en soucier autrement…. je frottais (parfois) le rhodoïd avec une éponge et je prenais au cours de cette opération quelques empreintes de la plaque ainsi lavée d’eau ; j’obtins par là très souvent de très merveilleuses images mais c’est une technique hasardeuse», la recherche, et ce qu’il y a en elle de doucement jubilatoire, au delà de la tension.
ou bien, tu sais :
Pieds le long d’un sillon dans la grasse terre noire retournée qui luit doucement après la pluie – pieds tordus sur caillasses effleurant de la rousse terre pulvérulente du sentier dans l’enivrement des pins et une main se pose sur un tronc pour poisser – pieds glissant sur un rocher humide, couleurs doucement ravivées, éclats de cassures, mica, sous le choc d’un rayon de soleil, le bourdonnement du torrent – pieds sur roseaux brisés, jaunis, parfois détrempés jusqu’au brun, brisures agressives, au bord du marais
ou encore, sais-tu :
pieds sur les rondeurs inégales, la gamme de couleurs, des cailloux d’une calade – plantes de pieds brûlantes sur sable mou où ils s’enfoncent dans un creux où le soleil darde – plantes de pieds claquant d’allégresse ou de rage rentrée sur le sable humide de la laisse de mer – pieds glissant sur les tomettes, sur la fraîcheur lisse et discrètement glorieuse du marbre – et l’esprit qui les mène vers un but, l’esprit qui rêve en leur compagnie, l’esprit qui calcule les promesses de l’humus, l’esprit boudeur qui leur commande frappe.
ou bien encore, tu sais :
mains qui malaxent la pâte en train de prendre, collante, visqueuse, sur la paillasse enfarinée – mains qui tentent de cueillir les gouttes glissant de l’autre côté de la vitre, qui disent froid – mains qui froissent une étoffe, qui la jugent, qui précisent la vue, contact du velours sur la peau, l’image d’une pèche, l’alliance des mots, la sensation, le début d’un poème… mains qui cousent, créent, transforment, disciplinent – mains qui, en plaisir, malaxent l’argile humide, l’assouplissent, en cueillent, hésitent, caressent, créent.
Mais ce pourrait être, aussi, sais-tu :
regarder la fragilité d’une nuque, l’ombre d’une chevelure, le désir de toucher – un chemin d’argent vers la lune frissonnant avec le clapot dans la nuit de la rade – une voûte, le grain dans la pénombre des pierres, leur beauté domestiquée, la lumière de l’esprit dedans enclose, et manifestée.
ou, tu sais, un corps :
en soutien muet, oublié, de l’idée qui se déploie, nourrie des sens, jouissance – le jeu de correspondances, de la mémoire du monde vécu – le sommeil, la fatigue bravée, la pensée aiguisée – la douleur sourde envahissante, l’hébétude, l’esprit à l’affût impuissant – l’acceptation de ce poids, la profondeur venue furtivement avec l’apaisement, l’imagination et la pensée qui reviennent sans qu’on sache, différentes. (Je crois que j’ai perdu le s)
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Et pour tout suivre des vases communicants, c’est ici, grâce à qui? A Brigitte Célérier
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Réfraction, réflexion, dispersion
janvier 04, 2012
Trois actions pour donner à voir ce qui est invisible et pourtant nous éclaire.
En cette nouvelle année, trois mots… j’allais dire d’ordre, mais ô combien non, s’il s’agit d’être tout à la fois réfractaire, réflexif et dispersé, pour peupler de couleurs le ciel de nos jours futurs. Plus, la capacité de faire disparaitre les sens obligatoires.
Trois façons de dévier, donc, que les gouttes d’eau nous apprennent, et tout aussi bien, si l’on sait s’en servir, toutes les sortes d’écran que nous posons entre nous et le monde.
Ce sont mes voeux, et c’est aussi, j’espère, de cela que nous allons parler à la journée d’étude intitulée Pour un humanisme numérique à laquelle j’ai été invitée, plaisir, chocottes, à venir participer, le 10 janvier, à la BnF.
Ci-dessous le communiqué de presse et le programme.
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La BnF propose le mardi 10 janvier 2012, une journée consacrée aux mutations qu’entraîne le numérique dans la culture de l’écrit et dans l’exercice de la démocratie.
Milad Doueihi et Maurice Olender, concepteurs de cette journée, nous rappelleront que l’outil numérique est devenu un lieu de sociabilité et que les frontières entre virtuel et réel ne cessent de tomber ; cet outil dessine aussi les contours de ces nouveaux espaces souples et éclatés qui sortent du champ domestique ou bureautique pour s’inscrire dans la cité. De nouvelles modalités de la relation sociale, de l’amitié, sont en train d’émerger et contribuent à construire un « nouvel humanisme ».
Écrivains, chercheurs, historiens et philosophes débattront sur le sujet pour tenter de rompre avec les clichés propres aux oppositions conventionnelles entre l’homme et la machine, entre la pensée et la technologie.
Trois thèmes seront abordés tout au long de la journée pour enrichir cette réflexion : la globalisation de la culture numérique et la généralisation de la mobilité, les mutations de l’écriture qui s’affranchit de l’imprimé, la démocratie et ses nouveaux modes de représentations et d’expressions.
Programme de la journée
10h – Ouverture par Bruno Racine, président de la BnF
Une archéologie du numérique au présent
par Maurice Olender
Qu’est-ce que l’humanisme numérique ?
par Milad Doueihi
10h30 – L’écrit à l’ère du numérique
par Sébastien Rongier, Camille de Toledo, Cécile Portier, Denis Bruckmann
14h30 – Cultures numériques
par Jean Davallon, Bruno Latour, Manuel Zacklad, Milad Doueihi, Bernadette Dufrêne
16h15 – Démocratie dématérialisée
par Philippe Aigrain, Laurence Favier, Olivier Schrameck, Maurice Olender
BnF François-Mitterrand, Quai François Mauriac, Paris XIIIe
Petit Auditorium, Hall Est, entrée libre
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A l’index
décembre 05, 2011
A la surface de mon écran tactile, il y a ce geste, légers tapotis du doigt sur le texte, je choisis copier, et puis je change de page, ou même de document, ou même d’application, et j’effleure de nouveau la surface, un nouvel espace de dialogue apparaît, je choisis coller, et hop c’est fait, j’ai écrit.
Tout cela est banal, du moins c’est le travail même, le travail du réel. C’est le travail du mineur, extraction, et du sidérurgiste en aval, fusion et alliage, et qui ose encore dire si on l’exprime comme ça que copier/coller c’est trop facile, copier/coller c’est pas jouer. Bien sûr que depuis que nous sommes à la surface de cet écran qu’est notre réel nous ne faisons que ça, nous n’avons rien inventé depuis l’os, on prend, on coupe, on recompose, ça fait beau ou ça fait mal qu’importe, ce qui compte c’est qu’on a travaillé.
Ce qui change un peu, quand même, c’est qu’avant tu prenais l’os, le minerai, la bande de papier, le bout de chiffon, t’en avais plein les pognes, et c’était lourd de l’emmener parfois, ou encombrant, c’est pour ça qu’on a inventé la brouette, par exemple. Tu la sentais sur les reins, quand tu la poussais, ta brouette. Tandis que moi, quand j’ai tout un pan de texte sous l’index, je sens rien du tout. Enfin, si, un peu, de le savoir si savant, mon doigt, de savoir que sur le bout du doigt je sais trois pages de la Divine Comédie ou l’article 11 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, ou bien la recette de l’ossobucco à la milanaise, j’en ai des légers picotis. Et puis j’oublie, parce qu’en ouvrant une autre interface voilà que je tombe sur un bout de texte que j’ai commis, pas fini, et pour lequel j’ai des remords, ou bien sur la recette des rognons de veau à la moutarde, ou bien sur le projet de loi de finances pour 2012, en tout cas sur quelque chose que je voudrais bien transporter ailleurs, alors hop, je tapote, j’emporte, et ensuite, que se passe t-il ?
J’arrive à l’endroit de destination de mon futur rêvé roman, où je voulais déposer tout un pan de paradis, et voilà que s’écrit :
« 1° L’impôt est calculé en appliquant à la fraction de chaque part de revenu qui excède 6 088 € le taux de : – 5,50 % pour la fraction supérieure à 6 088 € et inférieure ou égale à 12 146 € ; – 14 % pour la fraction supérieure à 12 146 € et inférieure ou égale à 26 975 € ; – 30 % pour la fraction supérieure à 26 975 € et inférieure ou égale à 72 317 € ; – 41 % pour la fraction supérieure à 72 317 €. » ; 2° Dans le 2, les montants : « 2 336 € », « 4 040 € », « 897 € » et « 661 € » sont remplacés respectivement par les montants : « 2 385 € », « 4 125 € », « 916 € » et « 675 € » ; 3° Dans le 4, le montant : « 439 € » est remplacé par le montant : « 448 € ».
D’un côté, c’est pas grave, le paradis on sait bien que c’est toujours pour plus tard, et celui de Dante est bien au chaud dans de multiples endroits. Mais je me prends à rêver, parfois, à tous ces départs de textes que j’ai écrit puis coupé pour les transplanter ailleurs, et qui finirent ainsi à l’index.
Ce petit texte pour dire que je tente de rassembler mes idées pour la table ronde Mutations numériques conçue par Guénaël Boutouillet pour le CRL Pays de Loire, à la BU d’Angers, le 15 décembre, et à laquelle j’aurais le plaisir de participer, le matin pour causer, le soir pour lire avec Pierre Ménard (je vous préviens, pour ceux qui viendront : on va vous balader). Je tente de rassembler mes idées, et vous avez bien compris que ce n’est pas facile.
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Petit flocon, par Christopher Selac
décembre 01, 2011
D’où viens-je ? Où vais-je ? Il fait noir, il fait froid et je tombe sans la moindre notion du temps, balloté par le vent. Je ne suis pas seul : nous sommes des millions, des milliards peut-être, emportés dans le même mouvement que nul ne maîtrise, vers le fond d’un puits sans lumière, un tunnel peut-être, au coeur d’une nuit profonde. Tous semblables, tous différents. Mais chacun de nous est seul, chacun de nous vole, virevolte, ou se précipite.
Combien de temps dure la chute ? Quelle distance parcourue ? Je n’en sais rien, nous n’en savons rien, personne ne peut le savoir. Nous finirons tous de la même façon, destinés à gésir à même le sol, sur un toit, sur une branche d’arbre dénudée, sur une voiture abandonnée à cette longue nuit d’hiver, dans l’ombre ou dans la lumière, ternes ou brillants, dans l’agglomération de nos solitudes, infinie chappe de silence.
La fin est proche, et pourtant, une lumière apparaît et grossit. A sa faveur, sur le sol blanc, nous formons ensemble un ballet étrange et fascinant de petites ombres, semblable à celui auquel, sous la surface des océans, les bancs de poissons longilignes se livrent. Je me rapproche, et je te vois toi, immobile, les yeux levés vers ce spectacle. Je me prends à rêver qu’à la faveur d’un souffle, je vienne vers la main que tu tends pour y chercher la caresse qui me fera fondre.
Comme si, depuis là-haut, depuis le point indéterminé de mon origine, nous avions toujours eu rendez-vous, je viens me déposer sur tes lèvres, baiser glacé et humide, magique et inattendu, pour te remercier d’échapper à ma fatale condition, couler un dernier jour heureux en te réchauffant d’une joie enfantine. A moins qu’avant même notre délicieux contact, ton souffle brûlant ne me sublime et que, moi, petit flocon, bien avant tous les autres, ne m’évapore, ne m’élève, et un jour me reforme pour rechuter encore.
M’attendras-tu toujours, demain, ou plus tard, les yeux levés par le ciel, sous ce réverbère et l’averse de neige, à espérer le temps de nos retrouvailles ?
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Nous avions décidé, avec Christopher Selac, que nos textes vases communiqueraient sur le thème de la chute. Merci à lui pour ce petit flocon, et merci d’accueillir chez lui mes propres chutes.
Et pour la liste complète des vases communicants, grâce à la fée Brigetoun, c’est ici.
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Déplacements
novembre 21, 2011
Comme la pie je me suis laissée attirer par le brillant du bijou. Alors j’ai quémandé d’en prendre la photographie, et c’est un étonnement toujours, une belle surprise, de constater la bienveillance avec laquelle mes requêtes déplacées sont accueillies. De bonne grâce elle s’est prêtée à plusieurs poses, mais nous étions dans le remous du métro, et je n’ai réussi à recueillir que cet envol flou. C’était le moins, quand même, que j’arrive à croiser un jour, en plein transport, les ailes d’Hermès, dieu des voyageurs et des échanges. Qu’elles aient volé des semelles du dieu au doigt d’une jeune femme c’est bien normal, puisque les voyageurs de notre temps se déplacent en gardant les pieds immobiles. Reste, quand même, la possibilité de faire circuler la parole, et qu’elle parte là où on ne l’attendait pas. J’étais en train d’échanger quelques mots, après photos, avec la propriétaire de cette main lestée d’un promesse de départ, quand le monsieur d’à côté a voulu en savoir plus, me demandant, alors comme ça vous vous intéressez aux mains. J’ai dit que non. J’ai dit qu’en fait, je m’intéressais aux gens. Il a haussé les sourcils, il avait raison, ça n’a pas de sens de s’intéresser aux gens (un jour, ma fille m’a demandé : « tu connais les gens, toi? » : bien embêtée pour répondre). J’ai tenté de préciser. Que ce qui me touchait, c’était de voir toutes ces personnes se croiser, s’entasser à parfois se toucher, partager ce même espace, et ne pas même se regarder, se reconnaître, se parler. Que ces espaces dédiés aux déplacements, nous les vivions paradoxalement comme des espaces mornes où rien ne circulait. Que ces transport n’avaient rien d’en commun, et que personnellement cela me mettait en colère. Je n’ai peut-être pas dit, colère. Sinon peut-être il aurait encore haussé les sourcils. Non, j’ai trouvé, je ne sais plus quel mot, mais plus neutre, plus apaisé, pour dire quand même cela, que ça pourrait être autrement. Et il n’a pas haussé les sourcils. Même, peut-être bien qu’il était d’accord.
Ce matin là Hermès a fait du bon boulot.
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Fauches
novembre 13, 2011
Les dernières fleurs, on les voit flétrir sur pied. De loin elles donnent le change, elles continuent de porter haut, sur une tige sans défaut, leur fanion de couleur. Mais quand on se rapproche, qu’on veut en faire le bouquet, on constate cela, le jaune et le roux qui gagnent sur toutes les autres nuances, les pétales saturées d’une écriture rageuse, toutes ces minuscules pliures que le vent leur a infligées. Certaines corolles aussi, très assombries, surprises par une gelée matinale, mortes mais encore debout.
Et parce qu’on s’y est pris trop tard, on se retrouve aussi avec ces trois citrouilles arrivées à taille respectable, mais qui jamais n’auront la couleur requise pour être consommables. Ainsi, elle restent figées dans une beauté de poterie. Après tout, c’est une récolte quand même, dont peut-être on se souviendra plus longtemps. A ces fruits sans accomplissement, s’accrochent beaucoup plus facilement des rêves de carosses.
S’y accroche aussi comme une appréhension.
Passons à autre chose.
C’est onze novembre, dans la salle des fêtes au papier peint ocre, coupée en deux par une cloison coulissante en accordéon, on se retrouve invités à boire le crémant, en l’honneur de ceux-là, si jeunes, il y a si longtemps, qui moururent à la guerre. Il y a celui mort dans un petit bois au nom si pittoresque, celui mort en permission, mais de typhoïde contractée dans les tranchées, celui gazé, démobilisé, allant rejoindre sa marraine de guerre, lui faisant un enfant qu’il ne verra pas naître, celui mort avant son frère aîné, mort avant, mais de peu, et le mois d’après ce fut le père, puis l’autre frère, et voilà que c’est la deuxième tournée de crémant, et nous passons aux blessés, à ceux qui sont restés sourds d’avoir entendu de trop près l’obus, à celui dont le casque fut traversé d’une balle, qui n’emporta qu’une touffe de cheveux, et à tout ceux revenus, mais pas vraiment, à tous ceux là, morts mais encore debout.
Et nous, nous sommes assis, enfants, jeunes, moins jeunes et vieux, nous sommes assis tous en rond dans la salle des fêtes sur nos chaises en plastique, à écouter celui qui fit ces efforts de recherche à partir des noms gravés du monument aux morts. On écoute ensemble, dans la gaité légère du crémant, et c’est la plus belle revanche sur les fauches.
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Sur scène
novembre 05, 2011
Ce petit post pour indiquer qu’à l’invitation de la Nouvelle Revue Pédagogique et de la Maison des Ecrivains et de la littérature j’interviens le mercredi 9 novembre après-midi au Petit Palais lors de la rencontre « Le numérique : nouvel espace d’expérimentation pour la lecture et l’écriture ».
N’ayant pas beaucoup l’habitude des interventions en public, et me méfiant de mes hasards vestimentaires, j’hésite sur ma tenue de mercredi.