Il fait un temps étrange, un temps sans repos, où l’air est brûlant, pourrait être brûlant, mais on frissonne pourtant, il y a ce vent vif et irrégulier qui pique tout d’aiguilles et assèche et énerve, on n’est bien nulle part, dedans on a ce sentiment de louper la journée du fait que depuis l’encadrement de la fenêtre elle semble belle et le soleil est haut, dehors on est inquiet et on a soif et surtout on ne se sent pas bienvenu, c’est un temps sans atmosphère du fait qu’elle est poussée toujours ailleurs, le corps est un noyau de fruit craché qui n’a même pas pour se défendre la dureté de celui de la pêche, alors vient l’idée, la seule possible, d’attendre que ça passe, de s’allonger, dehors mais au plus près du sol, là, comme ça, se cacher dans les brins, ici le vent vient moins, c’est un vent qui n’a pas le temps de tout explorer, il est trop énervé, au ras du sol il ne vient pas, on l’entend dans les branches en haut, à harceler les feuilles d’un côté et d’un autre, ici-bas il n’y est pas, c’est presque calme ici, on pourrait s’endormir, mais le soleil brûle les paupières et provoque en dedans des yeux des images d’incendies crachés qui font mal à la tête, il faut se protéger encore, s’enterrer vivant on ne peut pas, on peut juste poser sur le haut du visage quelque chose qui protège, par exemple le pull qu’on vient d’enlever d’avoir trop chaud à si basse altitude, là ça va, là on est bien, dans cette obscurité de ventre on  peut attendre que ça passe, que toute cette agitation, cette vie, passe, nous passe au-dessus, on est bien là, on s’abandonne, le vent d’en haut est suffisamment loin maintenant pour faire une musique où se tremper, le contour des idées devient flou et grossier, les idées pourrissent doucement en patates molles prêtes à germer, en images, et ce pull sur les yeux prend la chaleur du soleil, il doit y avoir des fibres synthétiques dans ce pull, il doit y avoir du pétrole qui s’amollit et fond et coule dans la fente des paupières car les images dans la tête deviennent de plus en plus plastiques, et la peau du visage ne reconnait plus ses bords, sa couleur prend toutes les nuances entre le rougeâtre et le violacé, la peau du visage commence à s’épouser avec le nylon du pull, elle s’étire, bourgeonne, devient une membrane charnue, érectile, mamelonnée, infiniment laide et libre et décorative, la peau du visage s’orne des caroncules du dindon et du rêve, et tout à l’heure qui pourra nous reconnaître, quand enfin on se lèvera d’avoir senti le vent tomber.

Devenir dindon | 2020 | ni l'un ni l'autre