Les leurres
mai 09, 2010
L’homme est un poisson pour l’homme. Emprunte sa méthode à la baudroie.
Tapie dans le sable, elle ne fait connaître d’elle-même qu’une frêle aigrette jouant le rôle d’appât, qu’elle agite gracieusement au dessus d’elle. Le flux de l’eau finit de donner apparence de vie à ce petit pompon trompeur, et bientôt un poisson moyen arrive benoîtement pour gober ce qu’il croit être un poisson petit.
Et là, subitement : la vraie faim se fait connaître. En un instant la baudroie sans bouger autre chose ouvre une gueule béante et avale le poisson moyen qui croyait prendre.
Il faut le voir, alors, comme il se débat pour rien ; il faut le voir convulser une dernière fois sur le regret de la proie, sur le remords du leurre.
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Voir venir
mai 01, 2010
Les temps changent. Cela n’empêchera pas l’orage, de le voir venir. Simplement, on se doit de temps en temps de racler la fine couche de poussière déposée sur l’interface entre nous et le reste. La lustrer, ensuite, comme une caresse sur une lucidité un peu irritée, pour en rendre encore plus crédible la transparence.
Rien, ou presque, entre l’orage qui vient et nous. Ce qui rend plus grand le plaisir, sans doute, de se sentir malgré tout encore abrité.
En somme, pas grand chose de changé depuis le 1er mai de l’année dernière. Comme Louis XVI écrire dans son cahier, le jour du 14 juillet 1789 : « Rien ». Ou alors, comme Francis Ponge, pouvoir écrire L’insignifiant*, et s’engager en résistance, comme si c’était le même mouvement.
* »Qu’y a-t-il de plus engageant que l’azur si ce n’est un nuage, à la clarté docile? Voilà pourquoi j’aime mieux (…) qu’une page blanche un écrit quand il passe pour insignifiant »
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Regarder beau
avril 28, 2010
La resucée est toujours considérée avec méfiance. Voire mépris. Mais quoi? Y a t-il tant de choses nouvelles sous le soleil? La seule chose qu’on puisse tenter, c’est la multiplication du même, sa diffraction, son agencement. Jouer du fait que sous le soleil les choses n’ont, selon l’heure, pas les mêmes couleurs. Jouer du mystère de la pleine lumière, expliciter dans le sombre. Et puis découper, recomposer. Petits rayons dardés, trompés, qui font que le monde usé, par nous même salivé, nous redevienne méconnaissable.
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le siège de nos émotions (2)
avril 26, 2010
S’asseoir : aspiration légitime mais trompeuse. Le dossier, les accoudoir, les pieds : tous ces éléments de stabilité finissent par se faire passer pour vrais. Nous croyons que la terre nous porte, alors que c’est le ciel qui nous balance. Le repos et le vertige se rejoignent toujours plus vite qu’on ne croit.
Et quand on quitte la place, la seule réminiscence de nous dans l’espace, la plus juste : cet ample balancement qui lentement s’épuise et hésite en quelques girations saoules. Ensuite, c’est le vent qui prend le relais.
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Opus incertum
avril 17, 2010
Prendre un bloc de réel : toujours beaucoup trop épais. Il faut dégrossir. Mettre un coin dans la tranche, taper. Le réel est friable, il cède assez volontiers. Hélas, jamais selon le chemin de faille prévu. On se retrouve avec des pièces aux formes fantasques, certaines encore trop massives, certaines ridiculement petites, anecdotiques, à jeter.
Celles qui restent, on se doit d’en émousser les bords, trop tranchants. Faisant cela, on se demande si on a raison, si à arrondir ainsi les angles on ne ment pas un peu. Mais enfin, on poursuit, et voilà nos meilleures intentions transformées en pavés. Le réel est une ardoise qu’on écrit avec ses pieds.
Ensuite, il faut assembler, trouver les pièces dont les formes s’épousent et se répondent, inventer entre elles la possibilité d’un cheminement. Et surtout, surtout, ménager les interstices, laisser la place propice aux poussées d’herbes folles. Composer pour assurer la stabilité des pas, ne pas tout occulter.
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Le dernier mot
avril 13, 2010
La nourriture est-elle un objet? Vivant, issu du vivant, ce qui nous nourrit. Nous mangerions des clous ce serait autre chose. Mais non, nous avons besoin de la chair qui croît et qui meurt pour que perdure la nôtre.
Soit. Mais la cacahuète, est-ce une nourriture?
La nourriture rassasie. La cacahuète, elle, est dotée d’une sorte de microprocesseur interne fonctionnant en boucle et faisant que chaque cacahuète avalée appelle une autre cacahuète, et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps. Preuve que la cacahuète n’est pas une nourriture, mais un objet, doté de fonctions, investi d’attentes.
Quelles sont les fonctions de la cacahuète? En premier lieu la sociabilité. Rêve de conversations interminables, nourries par une sorte de tonneau des Danaïdes à rebours, la coupelle à cacahuètes. Sociabilité : mise en présence de plusieurs individualités autour d’un pot commun.Expérience de voir comment les règles du savoir-vivre l’emporteront ou non sur l’avidité. C’est la question : qu’adviendra t-il de la dernière cacahuète au fond de la coupelle? Si la soirée s’achève et qu’il en reste une, une seule, c’est qu’on s’est rapproché, modestement peut-être mais sûrement, de l’utopie. La conversation fut si riche que toutes les cacahuètes y passèrent, sauf la dernière, celle qui permet que l’instance de parole puisse être reprise plus tard, celle qui permet que personne, jamais, n’ait le dernier mot.
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Enfiler les perles
avril 11, 2010
Il suffit de deux pour faire une série. Pour qu’apparaisse la possibilité du nombreux, de la continuité.
Deux billets faits au hasard, sans projet, et déjà l’envie de les apparier et de les poursuivre. Peut-être est-ce la forme du blog qui veut ça, sa linéarité, la faculté laissée de gérer des catégories. On se prend à vouloir rassembler les perles par couleurs, à les enfiler ensuite, les rêvant si nombreuses qu’innombrables. On se prend à enfiler les perles, avec ce que l’expression recèle de féminité, de naïveté aussi.
Débute donc ici un nouveau rang, un nouvel affluent de la rivière de perles (bijou pour nager, pour se noyer).
De deux, sommes passés à trois : trois objets, pris là pour leur force d’objet à expliciter une fonction, une manière d’agir sur le monde. Trois objets pris pour leur mystère d’objet, qui ne tient pas à leur beauté mais à l’indéchiffrable écart entre ce pour quoi ils ont été fabriqués et ce qu’au final on attend d’eux.
Trois objets, il y en aura donc d’autres.
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Pétrifier le temps
avril 09, 2010
Les journées s’empilent sans qu’il en reste rien : s’écroulent sur elles-mêmes.
Nous comptons sur le temps pour nous servir de fondation, pour arrimer nos actes. C’est un terrain en perpétuel glissement. Une terre trop gorgée pour être stable : tout ce sang déjà sur elle déversé. Tous ces désirs imbibés.
Alors, pour continuer la course sur un terrain moins meuble, nous installons un fond à l’arrière de nos horloges. Quelques chiffres pour une course récurrente, tourner en rond pour ne pas tomber plus bas.
Nous comptons sur le temps et c’est lui qui nous compte.
Au moins maintenant c’est mesurable, on a entre le temps et nous un bel écran imprimé de chiffres : un décor.
Au moins maintenant c’est du solide, on a quelque chose de stable sur quoi s’appuyer. Nos fondations ont des allures de pierres tombales.
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Bouger les meubles
avril 06, 2010
Mon personnage pratique la politique de la chaise vide. Bien obligée, alors, d’asseoir autre chose ici. Autrement ça rouille. Ca rouille non seulement sur la chaise du haut, mais aussi sur la chaise du bas. Chaise du haut : siège de la fiction empilé par dessus l’ego de celui (celle) qui écrit, pour protéger la chaise du bas : une sorte de housse protectrice. Sauf que la housse est trouée. La protection, comme toujours, est un leurre, mais quelle idée aussi de vouloir s’asseoir à l’extérieur.
Une chaise sur une autre : c’était un faible moyen aussi de prendre un peu de hauteur.
Et puis l’empilement : la panacée pour ne pas encombrer l’espace. Mais deux chaises même l’une sur l’autre quand aucune ne sert c’est encore beaucoup de place perdue. Seule solution : changer d’espace.
Changer d’espace ce n’est pas forcément voyager. Suffit parfois, pour s’inventer un exotisme, de bouger les meubles. Reprendre les mêmes choses, les disposer autrement.
Et puis un petit coup de peinture.
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Redresser les gisants
février 01, 2009
C’est ainsi qu’ils étaient, dans la pénombre, leur mains étaient jointes, leurs pensées intérieures. Ces passagers là, va savoir pourquoi, j’ai osé les photographier au plus près, j’ai contemplé leur visage, en pensant à ceux du métro dont je ne photographie que les mains, en pensant aussi à cette phrase de mon fils, dite un peu plus tôt dans la journée : « tu sais, il y a des jours, j’ai du mal à me désendormir. «