Opiniâtre

janvier 31, 2009

 

Je me suis assise avant eux mais ils discutaient déjà. Je ne pouvais quand même pas couper leur conversation. Alors j’ai sorti quelque chose à lire, c’était un texte de François Rosset, Ne rien pouvant, ne rien voulant, ce qui n’était pas mon cas. Je me sentais un peu prédateur, attendant mon heure.
Puis, il y a eu un blanc dans leur conversation, alors j’ai demandé ses mains à lui, puisqu’il était en face.
La chose la plus importante qu’il avait à m’en dire, c’était que la douleur de sa bosse d’écolier ne passait pas. Depuis tout ce temps ça ne passait pas, car même s’il est jeune encore il ne va plus à l’école depuis longtemps. Le petit durillon, il le porte sur la dernière phalange de l’annulaire, et non sur celle du majeur. Je revois dans mes propres souvenirs d’écolière ces quelques mains qui me semblaient maladroites à ne pas tenir leur stylo comme on nous l’apprenait.
J’ai eu l’impression un moment de tenir une petite consultation, à entendre le compte rendu de cette douleur tenace.
A part ça, sa ligne de vie est démesurée, une vraie liane prête à faire le tour de la main si on la laissait faire.

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Ce qui n’est pas visible

janvier 28, 2009

 

 

« Elles ont rien de particulier mes mains »
J’ai cherché avec elle.
- Vous avez de beaux ongles.
- C’est pour ne pas les ronger
- Vous n’avez pas de bague
- Si, j’en mets une là, parfois. Mais les autres je ne les mets plus, mes doigts ont un peu grossi. Et puis souvent les gens serrent la main trop fort, avec les bagues, ça me fait mal.

Elle les a regardées, du coup.

Elle m’a dit :  »Je m’en sers toute la journée. Je tape sur l’ordinateur ». Elle a fait le geste de pianoter en l’air.
Et puis la conversation s’est mise à flotter. Nous avions pris la photo, elle avait parlé, je lui avais donné l’adresse du blog : nous avions épuisé l’objet de nos échanges. Mais ce n’était pas encore notre station, ni à l’une, ni à l’autre, alors c’est difficile de refermer la fenêtre sur le nez de son voisin quand il est encore devant. Elle a demandé pourquoi les mains. J’ai expliqué que je trouvais les visages trop directs, j’ai dit que j’aurais pu choisir les sacs à mains, mais que je n’aurais eu que des femmes.

On est restées un peu comme ça, et puis elle m’a dit « Ce serait quand même bien aussi, les sacs ». Il y a eu encore plein de suspensions, et j’étais heureuse vraiment d’avoir en face de moi ce regard rêveur.

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Entorse

 

Les règlements sont faits pour en subir : j’ai pris cette photographie ce midi dans un café, pas dans un métro. J’ai pris les mains non pas d’une inconnue, mais d’une amie.
« Regarde, quand je tends les mains j’ai le bout des doigts courbé vers le haut, c’est horrible. C’est de plus en plus marqué ». Moi je trouve plutôt que cette petite inversion de l’orientation naturelle des phalanges lui donne un petit air de danseuse balinaise.
Mon amie a regardé la photo, dans un rire elle m’a dit, je ne sais pas pourquoi je les ai mises comme ça en prière, je ne sais pas après quoi je supplie.
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Le nom perdu de la ville perdue

Elle a un menton un peu pointu et des yeux avenants. Elle m’a souri quand je me suis assise en face d’elle. Elle a bien voulu se prêter au jeu, contente parce que ça lui rappelait Agnès Varda, cette histoire de mains glanées. Elle m’a tendu ses mains pour la photographie. Pour en parler, elle était d’accord aussi. Elle m’a dit : « ça tombe bien, je me suis fait griffer par mon chat ». Elle m’a montré deux estafilades, les deux sur la main gauche, seulement sur la main gauche.
On a essayé toutes les deux de faire un gros plan sur la griffure, mais au moment du déclic il y a eu une petite coupure d’électricité, la photo était noire (je ne mets pas le flash). Nous n’avons pas retenté.
Elle a cherché encore quoi m’en dire, qu’elle avait la peau sèche, qu’elle avait coupé ses ongles hier. On a parlé d’autres choses, qu’elle était en reconversion professionnelle, qu’elle avait envie de travailler dans le service public. On s’est bien entendues, je crois, le temps de quelques stations.
Au moment où je partais, elle m’a dit, mon chat s’appelle Tulum, le nom d’une ville au Mexique. Je n’ai pas pensé à lui demander pourquoi.
Le soir, j’avais oublié le nom de la ville, le nom du chat. Je m’en voulais.
Et puis le matin c’est revenu, au sortir du sommeil c’est revenu. J’ai appris que Tulum en langue maya veut dire barrière, clôture. Drôle de nom pour un chat, mais beau nom pour mon projet. A Tulum, ville disparue, il y a un temple dédie au Dieu Plongeur, représenté tête en bas, ailes inversés. Puisse t-il m’accompagner.

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Interlocution

 

La désignation du doigt signale chez l’enfant, dit-on, qu’il est prêt au langage.
J’ai regardé ce gant derrière sa vitrine, attendant un moment qu’il veuille bien enchaîner. J’ai sans doute encore une fois manqué de patience.

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La proie pour l’ombre

janvier 27, 2009

Ce matin, pris le métro avec l’appareil photo dans le sac, au cas où le courage me prendrait de photographier des mains, comme je me le suis promis. Une fois dans la rame, j’ai aussitôt plongé mon nez dans un livre pour éviter d’avoir des occasions. C’est seulement dans l’escalator de sortie, où je ne pouvais pas ne pas regarder, que j’ai vu cette main, posée sur la rampe de caoutchouc. Une belle main fine de femme, qui montait comme ça devant moi au rythme de l’escalator. La femme je n’en voyais que le dos, manteau blanc cintré avec une petite ceinture noire, et long cheveux noirs, soignés. La main était parée d’une grosse bague très clinquante, avec une sorte de fausse perle de culture, énorme, cernée de gros brillants. Je me suis dit que cette main coquette peut-être accepterait sans rechigner la photo. J’ai appelé la femme, j’ai dit : « Excusez-moi ». Elle s’est retournée, c’était une belle femme, la quarantaine, peau mate, yeux bien maquillés, nez pointu. Elle m’a répondu génée : « je ne parle pas français. »

 

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Faute de mieux

janvier 26, 2009

Ce soir bien décidée.
Gonflée à bloc.
Le programme est établi, dès que je m’assieds je ne réfléchis pas, je m’adresse à la personne directement en face de moi, et je lui demande de photographier ses mains.

Le métro arrive : vide.

Je me console en photographiant mon interlocuteur absent.

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bavarde

 

En face de moi ce soir il n’y avait personne, mais à la seconde station quelqu’un est venu s’asseoir sur le carré d’à côté, seul.
J’ai hésité.
Ce n’était pas tout à fait le programme. Le programme, c’était normalement de s’adresser, sans choix, à la personne en face de moi. Mais dans cette histoire de mains à découvrir, il fallait aussi peut-être que je force celle du hasard, sinon du destin. Alors j’ai fait ce qu’on ne fait généralement pas dans le métro, je me suis rapprochée. D’habitude, on change de place pour être plus seul, avoir plus d’espace.
Là, j’ai suivi le sens inverse. Absurde mouvement?

Désormais j’avais un face à face, un vis à vis.

Un homme avec une sorte de parka, retour de travail je dirais, très neutre.

L’aborder.

J’ai béni tout ce temps où j’étais fumeuse et où, à court de cigarette, j’abordais n’importe qui pour en demander une. Ça aide.

J’ai demandé la photographie, il a dit d’accord. Il n’a donné qu’une de ses mains. J’ai demandé qu’il m’en parle, et là : refus. Il a dit : les photographier, je veux bien, mais en parler… J’ai un peu insisté, j’ai dit : par exemple, là, vous avez une montre (au poignet de la main non photographiée), vous n’avez rien à raconter sur votre montre? Il a haussé les épaules, pas l’air mécontent, juste l’air de considérer qu’il n’y avait rien d’intéressant à raconter la dessus. Sur ses mains à lui.

Ou alors, j’avais franchi là la barrière de l’intimité, une photo ça allait, des mots, c’était trop lui demander.

Mais je brode. Lui, n’a rien dit de plus. J’essayais d’avoir des arguments, mais à quoi ça sert des arguments face à quelqu’un qui ne discute pas?

I would prefer not to. Ce premier contact avait un petit côté Bartleby, muet et obstiné.

Ou alors c’est moi, emportée par ma propre gêne, qui n’ai pas su l’attendre. Car face à ce refus gentil mais catégorique, je me suis sentie obligée de gloser, gloser, sur mon projet, mes propres mains racontées, l’avantage des mains sur le visage, etc.

Le monsieur m’a écouté fort poliment. Je ne sais dire si ça l’intéressait, au fond. Je lui ai laissé l’adresse du blog. S’il vient ici, je lui dis bienvenue, et merci.

Je crois que j’ai déjà oublié son visage. Mais ses mains muettes seront maintenant pour moi un contrepoint à mon agitation.

(je repense à cette phrase que j’ai longtemps laissé affichée dans ma chambre sans qu’elle infuse vraiment en moi : « Reste en toi-même. L’occasion de s’occuper d’autre chose se fait passer pour une nécessité, mais ce n’est qu’un prétexte ». – Abbé de Saint Cyran je crois)

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Comme un livre

janvier 23, 2009

 

Je dois bien commencer par les miennes.

Mes ongles je les ronge mais pas trop. Jamais jusqu’au sang. Parfois je m’arrache une petit peau, latérale, et la petite douleur me rappelle à son bon souvenir, toute la journée. Mais c’est tout. Je ne vais jamais jusqu’à mordre la pulpe. Parfois au travail je me les ronge sans y faire attention, surtout en réunion, surtout retour de week-end, et ensuite je m’en veux de ces petites rognures de moi-même laissées ainsi en pâture sur la moquette des bureaux. Je ne sais jamais faire autrement qu’avec les dents, encore, pour aider la peau à se détacher progressivement de l’ongle qui a poussé, et refaire une belle lunule, ovale, profonde.

Avant j’avais les ongles striés de blanc, j’aimais cette météo nuageuse sur mes dix petits écrans intimes, j’aimais que s’affichent ainsi mes carences. Maintenant c’est rare. Je note tout de même, qu’aujourd’hui, sur l’ongle du majeur droit, j’ai un tiret blanc au beau milieu : une pause.

Mes doigts, je les trouve fins et assez élégants, j’aime que les articulations soient un peu saillantes. Aujourd’hui j’ai une petite coupure sur l’index gauche, faite avec le couteau à pain ce matin. Cela n’a pas saigné longtemps.
Je n’ai qu’une bague. Dans ma tête j’ai toujours deux bagues mais sur mes doigts je n’en ai plus qu’une. L’autre, la monture s’est cassée. Je dois la réparer. Car ces deux bagues vont ensemble et vont avec ma main, c’est un tout. Jamais ces deux bagues ne quittent mes doigts, même pour dormir, même au bain, même l’été quand mes doigts gonflent et que je supporte mal des les avoir enserrés comme ça. Ce sont deux bagues de fiançailles. Pas les miennes. Un tout petit diamant sur mon annulaire droit pour les fiançailles de ma mère, et une aigue-marine sur mon majeur droit pour les fiançailles de ma grand-mère. L’aigue-marine manque en ce moment. Il y a un décalage entre mon schéma corporel interne et la réalité de mes mains.

Autre manque : je portais avant, indéfectiblement, à la même main que les bagues, une petite gourmette de baptême. Pas le mien non plus. C’était une gourmette trouvée dans la rue. Elle appartenait à un Thomas, né le 17 septembre 1979. Je portais cette gourmette comme une responsabilité. Je pensais très souvent à Thomas (celui qui doit toucher pour croire). Il me plaisait de porter ce cadet sans qu’il le sache. Mais je crois qu’aujourd’hui cette petite chaîne, je l’ai perdue.

Ces questions de bijoux sont importantes. Ma fille m’a demandé récemment si je lui donnerai. J’ai dit : plus tard. Elle a réfléchi, puis m’a demandé : mais quand tu seras morte, tu n’en auras plus besoin?

La ligne de vie, on dit qu’on la lit sur la main gauche, et cela m’a contrarié longtemps quand j’étais enfant, car je l’ai très courte sur cette main, pas sur l’autre. Je me consolais en remarquant qu’après une brève interruption elle semble reprendre, pour aller ensuite jusqu’au bout de la paume.

Au bout de la paume ma main débouche sur un poignet fin, qui ressemble à la tige d’une fleur fanée quand je suis fatiguée. Sur le poignet gauche je porte depuis peu de temps, une montre Lip (je suis née en 68).

Sur le dos de la main gauche, j’ai deux grains de beauté apposés, comme une signature, un sceau. J’ai exactement les mêmes, même grosseur, même écartement, sur le sein droit. Comme s’ils s’étaient imprimés pendant la gestation, quand j’étais encore enroulée en moi-même.

Depuis, disons cinq ans, un des grains de beauté s’efface au profit de l’autre, sur la main comme sur le sein, et j’y vois le signe inquiétant de la réduction de mes ambivalences.

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A mains nues

janvier 20, 2009

Je voudrais, j’ai le projet de photographier des mains. Les mains des gens. Je voudrais photographier les mains des gens car à l’endroit du visage il y a trop de pudeur , trop de droit à l’image. On peut facilement photographier les visages proches et connus mais les autres? Ceux qu’on croise comme ça dans la rue, dans le métro?

(Tu veux ma photo? Cette question ne concerne que le visage.

La photo de mes mains n’est pas ma photo )

Donc les mains faute de visage. Les mains comme un détour vers le visage des gens. Parce que les mains n’ont pas d’ouverture, elles sont moins vulnérables, moins obscènes. Des deux seules parties du corps qu’on ne couvre pas systématiquement pour se présenter aux autres, le visage est toujours nu, les mains ne le sont jamais complètement.
Je voudrais essayer, trouver le courage de demander aux gens que je croise de photographier leurs mains. Quand je suis dans le métro et que je m’ennuie, je me fixe des programmes : regarder seulement les bouches. Ou les chaussures. Ou les mains. Là, ce serait pareil, juste un stockage mémoire externe.
Je voudrais quand je prends le métro et que j’arrive à m’asseoir sur un carré face-à-face, demander à la personne en face, quelle qu’elle soit, lui demander ses mains.

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