plots, complots

août 28, 2010

Un certain nombre de plots ont été installés au devant de nous. Ils sont là, ils cantonnent nos cheminements. Nous restons en deça, toujours, car nous savons qu’ils sont là pour notre sécurité. Ceci est fort bien, mais il se trouve que plus le temps passe plus il y a lieu de s’interroger sur la finalité exacte de ces voies préservées. Nous n’avons pas forcément beaucoup de force, sauf peut-être celle de refuser la peur. Nous pouvons, parfois, sans vandalisme mais avec détermination, desceller de temps en temps quelques plots et aller voir là où on ne nous attend pas : dans l’espace public.

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Retour à la poussière

août 04, 2010

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Elle est fine. Elle est douce. Elle est plus indénombrable que le sable et pourtant elle est une. Quand on la prend, on ne peut pas : le geste se termine dans une impossible prise, dans une caresse sans peau. Ensuite, sur la pulpe du doigt, ce résultat : la poussière si délicate a colmaté toutes les infimes blessures, tous les sillons signataires de notre identité, de notre altérité. Nous sommes redevenus pleins et sans empreinte, retournés, d’une manière très consolante, à notre matière première et commune.

Il faut dire d’elle aussi, de cette poussière de terre, qu’elle sent bon. Elle sent quelque chose de neutre, et d’envahissant. Elle sent une odeur d’oubli.

Cette odeur je l’ai respiré enfant quand j’allais faire des tours dans l’usine où travaillait mon père. On ne se détache jamais d’une odeur d’enfance. On ne se détache jamais des premières sensations, des premières formes, qui font tout le vocabulaire qu’on passe ensuite son temps à recomposer.

Les premières formes, ce sont celles-là, celles potentiellement infinies que cette poussière particulière peut prendre. Devant les grands silos où elle attend, on rêve, on peut tout imaginer de ce qu’elle deviendra. Et puis on l’épouse avec l’eau, elle s’y oublie, elle devient cette sorte de lait lourd qu’il faut constamment remuer. Ensuite ce sont les moules, on la coule. Lentement elle est acheminée vers le produit fini.

Et dans ce lent processus, on apprend beaucoup. Au coulage des moules : la complexité des formes internes, pour arriver à produire au final une forme évidente : W.C. Sur les bancs de séchage des bidets : la beauté des séries et des variations. Au four : l’intensité inatteignable, redoutable, désirée. L’alchimie du feu qui fait se transformer la terre crue et mate en cette matière si sophistiquée, brillante, hautaine, noble, bien que promise par son usage à beaucoup de prosaïsme. Puis, la métaphore constante des appareils de manutention, machines inexorables destinées à opérer toujours le déplacement latéral.

On apprend aussi la casse. La casse nécessaire : tous ces morceaux évidés, déjetés, recyclés – mais pas indéfiniment car cette matière comme les autres connait l’irreversible, et n’est pas remodelable à l’infini. Au bout d’un moment elle perd sa souplesse, elle s’use. La casse du cuit aussi : à la sortie du four ces pièces déformées, grotesques caricatures de ces objets qu’on ne voit plus, lavabos, éviers. On apprend la casse nécessaire à toute production, et c’est important.

Mais quand la production cesse, une autre casse s’organise. Celle-là n’a rien de fécond. Celle-là brise les moules, brise le futur encore à inventer des formes que nous pourrions prendre.

C’est ce qui se passe aujourd’hui, et je suis triste.

L’usine des Produits Céramiques de Touraine va fermer, c’est annoncé depuis février, et malgré la lutte du personnel, confirmé depuis quelques jours.

Je ne suis pas triste seulement pour ce que lieu m’a donné à moi, pour tout ce vocabulaire dont je lui suis si reconnaissante. Cela, je l’emporte avec moi, je le ferai vivre autant que je pourrai. Je suis triste pour l’avenir qu’on casse là-bas, pour les gens qui y travaillent, et qui peineront à retrouver du travail dans cette petite vallée du Cher progressivement vidée de ses emplois. Je suis triste pour cette belle production qui pouvait tenir, et qui est arrêtée pour répondre à des exigences financières lointaines et pressées. Et j’espère encore que quelque chose pourrait changer les décisions, qu’au retour à la poussière, on préfère le retour à la production.

Avec Xavier Schwebel, photographe, nous préparons un témoignage sur cette fermeture malheureusement si ordinaire.

Voir ici un article de La Nouvelle République qui explique les dernières décisions prises.

Voir aussi, ici

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Sans outil

juillet 08, 2010

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Laisser tomber les clés à molettes, les tournevis, les équerres.

La poussière retombe sur l’atelier, juste ce qu’il faut pour que la lumière de l’été irise un peu l’oeuvre méticuleuse des travailleuses discrètes.

Il apparaît alors que le texte, lui aussi, est une toile fragile, qui a besoin parfois que l’agitation cesse pour se déployer. Qu’il est, tout comme, un tissu travaillé sans outil, à la main et à la bouche seulement. Bref : un travail qu’on fait dans les coins, avec l’espoir jamais certain d’attraper quelques mouches.

Et puisqu’il faut bien quand même reprendre l’établi, ce sera bien temps de nettoyer au retour. En attendant, je souhaite un bel été à tous ceux et celles qui viendront vrombir un moment par ici.

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A front renversant

juillet 04, 2010

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Vouloir se voir de plus près, pour voir le monde à l’envers. Ce n’est pas, pas du tout, le geste d’approcher du miroir et d’y tomber, étonné et benêt. Pas non plus, la posture triomphante et trompeuse de l’arbre cachant la forêt.

De plus près il est possible de s’esquiver très vite, au contraire, pour échapper à la petite flaque d’eau narcissique. On laisse plus de champ au regard, on laisse le monde se déployer selon des axes plus libres, dont la lecture n’est plus automatique. Les inaperçus surgissent. Encore un tout petit décalage, et peut-être on pourrait voir le ciel.

 

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Orientation

juin 29, 2010

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Toujours la question du stationnement.  On aimerait bien, parfois, faire le créneau habile, trouver la place où n’être pas déplacé. Est-on autorisé, oui ou non? Sous des dehors toujours différents, la réponse est toujours la même. L’entendre autrement expose à un écrasement de l’exclamation en point tout à fait final.

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Les grands pavillons

juin 26, 2010

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Quels sont les secrets chuchotés, les vérités criées, qui ne trouvent personne comme dépositaire? Ce qui n’est pas recueilli par quelqu’un d’autre, quelqu’un choisi librement, qui consent librement à entendre, et à répondre, cela est aspiré dans un béton pire que l’oubli.

Un organe ne fait pas un visage. Prenons garde aux artefacts à grands pavillons.

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Frapper sans faire vibrer

juin 24, 2010

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Le maillet a ceci de pratique, qu’il s’agisse de celui du menuisier, du juge, ou du commissaire-priseur, que sa tête est souple et absorbe toutes les vibrations annexes : ne restent que celles directement destinées à enfoncer le clou. Les sentences tombent droites, les enchères sont closes sans remous.

La littérature, sans doute, et les gouvernements aussi, auraient à en tirer quelques leçons.

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Varlope

juin 19, 2010

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Raboter, raboter. Maintenir suspicion, circonspection pour la matière à travailler : elle est toujours trop épaisse, inégale. Donc : raboter, raboter.

On sent, en dessous, que ça s’abandonne à la lourde caresse, puis au biseau de la lame. Le geste est voluptueux, on continue.

A la fin ne reste plus grand chose, ou plutôt si, tous ces copeaux, échappés définitivement de la rectitude. S’enroulent ici.

(toute matière vaut pour sa dissémination, voir ici Limaille, publié en janvier chez Abâdon de Michèle Dujardin).

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Qui trop embrasse

juin 16, 2010

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Pincer sans rire, c’est plus qu’une manière : c’est un art martial, avec tout ce qui, dans l’apprentissage de la discipline, permet de se dépasser.

Enseignements :

- Savoir médiatiser sa passion (mettre entre soi et son propre assouvissement la délicatesse ouvragée d’un air de ne pas y toucher)

- Considérer que le geste vaut autant que ce qu’il attrape

- Savoir se contenter d’un morceau, et distinguer qu’on a eu le bon

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Coulisse

juin 15, 2010

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Le tiroir est pernicieux. Nous fait croire qu’enfin, chaque chose aura sa place et sera toujours disponible. Sous son empire on croit que la façade et le fonds communiquent en belle harmonie, et qu’à chaque contenant on peut promettre son contenu (et vice-versa). Le tiroir nous hypnotise et nous trompe, et nous voilà, benêts, à  considérer que quand on veut quelque chose, il suffit de tirer sur la poignée, de faire coulisser.

Or, sitôt qu’une chose est glissée dans le tiroir en haut à droite, elle disparaît pendant de longs mois, pendant lesquels on fait péniblement son deuil, pour réapparaître un beau matin dans le tiroir en bas à gauche.

Que faire, alors? Tout mettre sur la table.

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