A la surface de mon écran tactile, il y a ce geste, légers tapotis du doigt sur le texte, je choisis copier, et puis je change de page, ou même de document, ou même d’application, et j’effleure de nouveau la surface, un nouvel espace de dialogue apparaît, je choisis coller, et hop c’est fait, j’ai écrit.

Tout cela est banal, du moins c’est le travail même, le travail du réel. C’est le travail du mineur, extraction, et du sidérurgiste en aval, fusion et alliage, et qui ose encore dire si on l’exprime comme ça que copier/coller c’est trop facile, copier/coller c’est pas jouer. Bien sûr que depuis que nous sommes à la surface de cet écran qu’est notre réel nous ne faisons que ça, nous n’avons rien inventé depuis l’os, on prend, on coupe, on recompose, ça fait beau ou ça fait mal qu’importe, ce qui compte c’est qu’on a travaillé.

Ce qui change un peu, quand même, c’est qu’avant tu prenais l’os, le minerai, la bande de papier, le bout de chiffon, t’en avais plein les pognes, et c’était lourd de l’emmener parfois, ou encombrant, c’est pour ça qu’on a inventé la brouette, par exemple. Tu la sentais sur les reins, quand tu la poussais, ta brouette. Tandis que moi, quand j’ai tout un pan de texte sous l’index, je sens rien du tout. Enfin, si, un peu, de le savoir si savant, mon doigt, de savoir que sur le bout du doigt je sais trois pages de la Divine Comédie ou l’article 11 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, ou bien la recette de l’ossobucco à la milanaise, j’en ai des légers picotis. Et puis j’oublie, parce qu’en ouvrant une autre interface voilà que je tombe sur un bout de texte que j’ai commis, pas fini, et pour lequel j’ai des remords, ou bien sur la recette des rognons de veau à la moutarde, ou bien sur le projet de loi de finances pour 2012, en tout cas sur quelque chose que je voudrais bien transporter ailleurs, alors hop, je tapote, j’emporte, et ensuite, que se passe t-il ?

J’arrive à l’endroit de destination de mon futur rêvé roman, où je voulais déposer tout un pan de paradis, et voilà que s’écrit :

« 1° L’impôt est calculé en appliquant à la fraction de chaque part de revenu qui excède 6 088 € le taux de : – 5,50 % pour la fraction supérieure à 6 088 € et inférieure ou égale à 12 146 € ; – 14 % pour la fraction supérieure à 12 146 € et inférieure ou égale à 26 975 € ; – 30 % pour la fraction supérieure à 26 975 € et inférieure ou égale à 72 317 € ; – 41 % pour la fraction supérieure à 72 317 €. » ; 2° Dans le 2, les montants : « 2 336 € », « 4 040 € », « 897 € » et « 661 € » sont remplacés respectivement par les montants : « 2 385 € », « 4 125 € », « 916 € » et « 675 € » ; 3° Dans le 4, le montant : « 439 € » est remplacé par le montant : « 448 € ».

D’un côté, c’est pas grave, le paradis on sait bien que c’est toujours pour plus tard, et celui de Dante est bien au chaud dans de multiples endroits. Mais je me prends à rêver, parfois, à tous ces départs de textes que j’ai écrit puis coupé pour les transplanter ailleurs, et qui finirent ainsi à l’index.

Ce petit texte pour dire que je tente de rassembler mes idées pour la table ronde Mutations numériques conçue par Guénaël Boutouillet pour le CRL Pays de Loire, à la BU d’Angers, le 15 décembre, et à laquelle j’aurais le plaisir de participer, le matin pour causer, le soir pour lire avec Pierre Ménard (je vous préviens, pour ceux qui viendront : on va vous balader). Je tente de rassembler mes idées, et vous avez bien compris que ce n’est pas facile.

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