noix 2

Comment elle est arrivée là, vous n’en savez rien. Vous vous apercevez subitement de sa présence, et dans ses yeux, qu’est-ce que c’est? De l’audace? De la terreur? Vous la regardez, elle prend ça pour une autorisation, elle vous saute sur l’épaule.
Elle ne pèse pas bien lourd. Mais quand même. Au début vous la foutez par terre. Elle revient, la patte cassée. Vous ressentez, quoi? Une sorte d’attendrissement, peut-être. Un peu de pitié, pour cette bête perdue, efflanquée. De l’agacement aussi. Vous n’avez pas que ça à faire, de vous occuper d’une petite bête à poils, qui a l’air de tellement demander.
Mais voilà, elle est là, juchée sur votre épaule.
Quoi faire?
Sa chaleur le long du cou, pas si désagréable, et qui vous soulage d’une légère contracture. Et puis, cette habileté à vous épouiller. Bon d’accord, c’est elle qui vous les a donné, les poux.
Vous pouvez la revêtir d’un petit costume rouge à galons. Accompagné ainsi, vous vous donnez en spectacle. Pas sûr que ça vous apporte ni la gloire ni les espèces sonnantes, mais enfin, elle n’a pas son pareil pour dérober des portefeuilles crevés, et leurs propriétaires n’y voient que du feu. Ses frasques, peut-être, pourraient vous désennuyer de vous-même. Vous ne vous ennuyiez pas, pensez-vous. Bien, c’est vous qui savez. Au moins, sa queue souple, nerveuse, permet de chasser les mouches qui vous tournent autour. Et puis, avec ses dents pointues, ses longs doigts agiles, elle sait dépiauter pour vous des noix très dures. Vous, vous la nourrissez aussi, par dessus l’épaule. Elle recrache parfois, méfiante un peu, de cette nourriture qu’elle ne connait pas. Ensuite, elle redemande. Elle vous mange dans la main. Pour vous remercier, elle chaparde par dessus le mur quelques pommes bien juteuses, qu’elle vous tend.
Et puis, quand la nuit vient, ses cris perçants, ses babines retroussées feront peut-être fuir vos plus ignobles fantômes.
Ne cherchez plus de raison (de prétextes?) à sa présence. Elle est là, elle vous accompagne. Vous faites la vaisselle, elle est là. Vous travaillez, elle est là, qui regarde vos mains s’affairer. Vous vous promenez dans la rue, elle est là, toujours sur votre épaule, à regarder le paysage, avec cette vision légèrement décalée, forcément, par rapport à votre propre regard (légèrement plus à droite, ou plus à gauche, selon le côté où vous la laissez s’installer). Attention, ne vous penchez pas trop bas sur votre assiette, elle va tomber dans la soupe. Si, dans certaines conditions, sa présence vous semble trop inconvenante, cachez là dans votre chapeau. Elle s’endormira, elle saura se faire oublier.

Il y a eu ces quelques fois où elle vous a mordu l’oreille, presque jusqu’au sang. Vous avez pensé, elle a la rage. Mais non, c’était juste pour vous empêcher de vous endormir, sur ce texte qui traîne un peu. Elle ne sait pas bien y faire parfois. Ses méthodes sont griffues. Mais dans ses yeux profonds, profonds, vous lisez cela, la reconnaissance de voir grâce à vous l’horizon d’un peu plus haut, un peu plus loin.

A vous regarder aller, elle et vous, on croirait de ces formules mathématiques : Yx.

Elle est votre exposant. Depuis qu’elle est là, vous ne le sentez peut-être pas, mais vous vous multipliez vous-même à une puissance inconnue, moins humaine que vous sans doute.
Et de toute façon : vous la chassez, vous faites mine de ne pas vous en occuper, elle revient quand même. Vous pensiez, ces derniers temps, l’avoir distancée pour de bon. Mais non, elle est de nouveau sur votre épaule. Petite bête qui monte, inlassable, insatiable. Elle vous suivra jusqu’au bout du monde. Sans faire un pas, cette paresseuse.

Mesurez votre chance.  Ca aurait pu être un gibbon, un orang-outan, ou bien le yéti. Mais non c’est un tout petit singe pitre, et si affectueux. Elle vous est toute acquise, farouche animal domestique. Alors, puisqu’elle est là, gardez-là. Elle ne coûte pas si cher en entretien. Et que demande t-elle, vraiment? Quelques centimètres carrés de votre surface, à peine. Cantonnez-là. Si c’est trop, quand même : déposez là doucement à terre. Mais ne vous fâchez pas. Ne lui dites pas «Sapristi, ce ouistiti!» ou encore, avec une grosse voix «Ma claque de ce macaque!». Car dans sa fuite, dans sa peur, elle laisserait sur vous, en décampant, une petite flaque. Que vous assécheriez d’une main rapide.

Humant vos doigts ensuite, vous vous demanderiez, suspicieux, si c’était vraiment des larmes. Et vous n’auriez plus jamais un revers de veste impeccable.

L’écriture, cette singerie | 2011 | singeries | Tags: