chimère

J’allais vous parler de cela, de ce cerveau de chimère fossilisé, vieux de 300 millions d’années, qu’on a retrouvé récemment et qui ce matin encore me semblait la chose importante à vous dire (l’écriture, sa capacité à fabriquer de la dureté). Et puis je suis sortie, il y avait cette lumière, et j’ai oublié que c’était pour quelque chose. Il y avait, il y a cette douceur dans la rue. Affolante, pour qui est nourri de la sève du froid. Il y a le pas des gens, un peu plus lent. Il y a de la légèreté, et aussi un arbre précoce déjà rose, au coin d’une rue pas loin. En rentrant j’ai croisé le monsieur de la synagogue en face de chez moi, qui a sorti une chaise sur le pas de la porte, et qui est là à rien faire. Dans ma cour, des fenêtres entrouvertes, qui laissent passer des voix. Moi aussi j’ai laissé la fenêtre ouverte. Ma fenêtre est une porte, et en ce moment même un chat vient d’entrer, prudent. J’entends des cris d’enfants qui portent loin depuis la cour de l’école à 100 mètres, parmi ces cris de jeux il y a mes enfants. J’irai les chercher tout à l’heure. Le chat vient de repartir, un oiseau chante. Le monde n’est pas qu’un bruit dont il faut perpétuellement régler les fréquences. Les chimères volent avant de durer. Et celle dont je voulais vous parler, ma foi je veux bien attendre 300 millions d’années de plus avant que cela, et seulement cela, m’échoie. Pour le moment : je m’évite, je lévite.

De la dureté, de la douceur | 2011 | singeries | Tags: ,