Chers i-voix
Je vous remercie beaucoup pour vos questions sur ma série Dans le viseur. Et je remercie chacune des personnes qui se sont essayées à ce jeu beau et difficile de rentrer en dialogue avec les textes d’un autre. Qu’il s’agisse des miens, et de cette série « dans le viseur » me touche particulièrement, car le projet, c’était bien de relier à la vie et à nos émotions de personnes d’aujourd’hui ces photographies anciennes, qui ne parlaient plus pour personne. Vous leur avez redonné un peu plus de leur force de joie et d’énigme, et j’en suis heureuse. Vous avez éprouvé aussi sans doute comment l’écriture fait image, depuis son point aveugle (et donc je me permets de vous emprunter cette photographie, qui m’a touchée).
Je réponds ici à vos questions. Vous me demandez :  « comment ces photographies vous inspirent de si beaux poèmes ». Bien sûr je suis heureuse que vous les trouviez beaux, ces textes. Mais le terme d’inspiration m’a toujours semblé suspect. Inspiration ça donne l’impression d’une chose très naturelle (comme on respire) ou alors au contraire quasi surnaturelle (l’esprit vous tombe dessus sans crier gare). Si c’était ça, il n’y aurait pas la question du « comment » à se poser. En fait, l’écriture est une question d’hypothèse, de dispositif, et de travail. Comme la science en quelque sorte.
L’hypothèse dans cette série : les visages des autres nous appellent ; les reconnaître dans leur humanité est nécessaire pour construire la nôtre.
Dispositif : prendre des visages disparus, inconnus, et voir comment ils nous parlent, et nous parlent de nous.
Toutes les photographies présentes dans cette série, sauf Vers l’envol, dont vous avez bien voulu parler et qui à vrai dire ne fait pas partie de cette série mais en est le contrepoint, je les ai « péché » dans un grand bac où étaient entassées pêle-mêle des tas de photographies, à 1 euro chaque. Il faut savoir que dans les photographies anonymes, il y en a qui se vendent très très cher. Celles-là sont le tout venant.

Donc, je piochais une poignée de photos, je les regardais une à une très rapidement, et sans réfléchir vraiment je décidai de garder celle-ci, de rejeter celle-là… Je prenais quand quelque chose me retenait. S’il y a inspiration, c’est juste dans cette émotion un peu irréfléchie qu’elle se loge.

Ensuite, c’est le travail, le travail du regard déjà. Se forcer, comme avec une loupe, à regarder tous les détails. Le cadrage, l’horizon, les contrastes. Et surtout, se forcer à regarder intensément, de façon totalement engagée, comme on regarde le visage de quelqu’un qu’on aime, et qu’on ressent l’impression de le comprendre mieux, parce qu’il  a ici un petit grain de beauté, ici une minuscule ride qui en dit beaucoup sur sa façon de sourire ou d’être anxieux… J’ai écrit tous ces textes comme si j’étais la personne qui avait pris la photo, comme si un jour, j’avais partagé avec ces personnes le même lieu, le même temps.  Et c’est un travail. Celui de la fiction.
Vous m’avez demandé aussi, comment m’est venue l’idée d’écrire sur la photographie de la grimace.
Comme vous avez pu le remarquer, un grand nombre des photographies de cette série sont dès photographies codifiées. Elles répondent au besoin des familles de  se mettre en scène au moment des grandes occasions, des repas de famille où l’on est bien habillé, de « s’immortaliser » dans une certaine idée de la réussite : « nous sommes unis, en bonne santé, nous sommes une bonne famille, » semblent vouloir dire ces photos. Alors évidemment, le garçon qui fait la grimace en plein milieu de cette pause et qui ridiculise le désir d’honorabilité de la famille, cela m’a fait rire, et penser aussi. Il a cassé les codes, il a inventé autre chose. C’est le début de toute création.

Voilà ce que je peux vous répondre. Merci encore pour toutes vos curiosités, et longue vie à i-voix

 

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