Lumière crue contre l’ombre, le contraste trop fort nous brouille la vue – à défaut de nos larmes.
Pas d’horizon. Seulement une trouée, une trouée de multiples trous, où déposer notre devenir cendres. Et tout autour pour encadrer, de la végétation seulement – masse noire et comme absente. Allée de cyprès comme cierges plantés, plantés là une bonne fois pour toutes et n’en parlons plus. Flammes sans élan, flammes mortes, mortes debout.
Tout est gelé. Sur les visages, qu’est-ce qui est peint? On dirait qu’ils s’ennuient. Les yeux sont secs.
Tous les deux, les désormais drapés tricolores, ils n’avaient pas encore de femmes, et je ne sais pas qui sont leurs mères, dans ces dames honorables à bajoues et veste en pied de poule. Cette vieille personne à manteau et béret, à coté de notre chef qui lui fait les honneurs de la visite, vient constater qu’une fois encore, c’est passé à côté. Dans tous ces gens assemblés là, personne pour les pleurer, seulement les commémorer, et rendre hommage, à travers eux, à la Nation.
France képi.
Tout cela, ce paysage illisible, ce ciel d’hiver aveuglant, ces arbres sinistres… Ce n’est pas cela que je veux. Tous ceux-là à tristesse de façade je ne les veux pas. Je veux sur l’image, je voulais, les deux cercueils, les gerbes de fleurs que nous avons financées.
C’est pour cela que je suis venu. Rien ne m’y obligeait. Je n’y étais déjà plus, moi, là-bas. Démobilisé avant eux à cause de cette sale blessure, seul moyen de sortir de cette sale guerre, qui ne les concerne pas, eux, les autres, ceux qui seulement quand on meurt, viennent saluer nos linceuls .
Je n’y étais déjà plus, mais quand j’ai appris je suis venu. Pour rendre hommage, moi aussi. Pour me souvenir. J’ai partagé avec eux des fatigues et des peurs, des odeurs de pieds, pas beaucoup plus. On ne s’amusait pas des mêmes blagues, celui de droite était violent parfois et celui de gauche était veule. Mais c’étaient nos camarades, et nous sommes trahis avec eux, de voir qu’ils vont si peu manquer.