Mon dieu Yvette que tu es coquine!
Quelle idée as-tu eu encore de nous trainer tous là à la sortie de la noce? Tu n’as rien d’une enfant, pourtant…
En société tu tiens ton rang et ton rôle, tu ne laisserais personne prendre la place que tu t’es octroyée, et tu as beau ne pas être la plus belle, c’est toujours et encore toi qu’on regarde.
Par ton aplomb, ton pragmatisme, ta drôlerie, tu as acquis auprès de tous une autorité que personne ne conteste. Bourgeoise tu l’es, fièrement, et gouverner te semble un dû.
Aujourd’hui encore tu es la reine de la fête, et les mariés sont fades et éclipsés.
D’ailleurs ils te doivent tout, c’est toi qui a manigancé pour que ta nièce trouve ce que toute ta famille considère comme un parti inespéré, quand toi tu nous regardes, nous et notre fortune imposante, avec une gentille condescendance qui fait que même mes tantes les plus acariâtres te mangent dans la main.

Tu es rusée comme pas deux, tu es de celles qui font les grandes négociations d’alliances, la paix par le commerce et les intérêts bien compris.

On ne te craint pas vraiment, mais on t’obéit. On se coupe en quatre dans la joie pour satisfaire au moindre de tes caprices. Quand tu as arrêté toutes les voitures sur la corniche et décidé qu’on irait voir l’estran, personne n’a moufté.

On ne peut pas t’en raconter, tu en connais long sur beaucoup de choses, sans avoir eu besoin des livres. Mais là, sur la plage, je t’ai vu ôter tes escarpins, aller jusqu’au bord des vagues et t’amuser comme l’enfant que tu n’es plus et que tu n’as peut-être jamais été.

Puis tu m’as enjoint de te suivre un peu plus loin, pour que je te prenne en photo sur le fond et dans la posture que tu choisirais.

Te voilà, pieds nus et narquoise. Ton physique coquet et replet, tu l’arbores sans complexe, et tu compenses ton manque de sublime par une joliesse qui frise toujours le ridicule pour mieux forcer le respect.

Comme d’habitude, tu as l’air d’avoir une petite idée derrière la tête. Que vas-tu me dire? Je sens le poil de mes avant-bras se hérisser d’une légère terreur, d’un plaisir léger.

Ton sens aigu du persiflage, dont chacun de nous a déjà été victime, nous devrions le craindre, mais nous l’aimons car quand tombe une de tes moqueries, on se met à rire trop fort et trop aigu, soulagé que cette fois-ci ce soit tombé sur quelqu’un d’autre, qu’on ne plaint pas, non, et qui rit aussi s’il entend, car si tes mots pincent ils ne font jamais vraiment mal. Rien chez toi ne vire aigre. Fraîche et comme acidulée, tu as tout de la Chantilly,  y compris le côté surjoué.

Mais dans ta posture soudain comme une retenue, une pudeur.

Yvette, je me trompe, ou bien ton petit regard en coin n’est pas que moquerie à mon égard? On dirait une invitation à approcher vers le mouillé de dessous tes jupes, par là où tout devient flou.
Toi si campée, tu me fais chavirer.

Sur les bords | 2013 | dans le viseur | Tags: , ,