(Dans le viseur, une série) De ces photographies je ne connais rien. Elles me sont étrangères, absolument. Je les ai trouvées dans un bac, une sorte de brocante de visages égarés, un marché seconde main de la photo de famille. Un euro la photo, au choix. Et j’ai choisi. Puis j’ai écrit comme si j’étais celui qui était derrière le viseur. Je suis sortie du document, pour rentrer, par l’oeil, par le je, dans la fiction.

 

Il ne m’écoute pas. Il est tout entier dans sa carte, à déchiffrer, calculer, vérifier. Il est sûr de lui, et de son plan.
Je lui ai dit pourtant, que ça m’étonnait. Que la nature marneuse du sol à cet endroit là me semblait difficilement compatible avec les fondations qu’il envisageait. Il ne m’a pas même regardé quand j’ai dit ça.
Je le connais pourtant le sol, ici. Je sais bien comme il est traître. Comment sous l’effet des pluies il se détrempe et n’est plus fiable, gonfle, devient élastique, puis quand le temps devient sec, se rétracte brusquement, provocant fissures et écroulements. Si aucune maison ne s’est construite ici ce n’est pas pour rien.
Mais non. Il est si profondément sûr de lui. De sa raison, de ses calculs.
Il est toujours si impeccablement non pragmatique.
Il est pourtant, tout sauf enthousiaste, tout sauf naïf. C’est un homme calme et sans chaleur, et ce qu’il ne considère pas on ne peut pas dire qu’il le méprise. Il ne le considère pas, c’est tout.
Tout semble stable aujourd’hui, c’est normal, nous sommes en été, il n’a pas plu depuis au moins quinze jours, et la rivière en contrebas est exceptionnellement basse. Tout cela je pourrais lui dire, s’il m’écoutait. Mais il n’est pas là, pas plus dans le réel que dans l’image dans lequel je tente de l’inscrire. Il tourne le dos à la réalité du terrain, à son fiasco futur.
Il voit ce vide sur la carte comme une opportunité. Il ne regarde qu’elle.

Ses lunettes, en prenant de côté la lumière du soleil, se transforment en écran, le protégeant d’avoir à connaître le monde, les facéties du réel pour contrarier ses plans.

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