Je vous ai surpris. Vous êtes sortis sur le perron à mon appel, accourant à mon retour. Vous veniez pour me voir, me retrouver et ce que vous avez vu devant vous ce n’est pas votre papa, mais cet étrange cyclope que je deviens trop souvent devant vous, ce prédateur distant, cherchant à capter de vous seulement votre blondeur, le sentiment que je me fais de votre enfance.

Julien tu croises les bras en attendant que j’en ai fini de cette énième photo. Est-ce la trop vive lumière ou la contrariété qui te fait ainsi froncer les sourcils? Tu es déjà bien habitué à ce que les choses se passent autrement que tu le souhaiterais.

Claire, toujours avec ce vieux landau! Tu maternes tes poupées usées en attendant d’être en âge d’avoir des bébés tout neufs, tu sembles faire tous tes efforts pour réduire l’intervalle de temps où dans le regard des hommes tu ne seras pas une petite maman. Où est la vôtre, d’ailleurs, de maman? Elle n’a pas accouru avec vous.

Delphine, tu sembles un peu méfiante toi aussi vis à vis de mon oeil unique. Tu esquisses déjà ta retraite hors du cadre.

J’ai voulu faire de vous une photo pleine de vie. Je vous ai fixés seulement, arrêtés dans votre élan. Et dans ma précipitation j’ai laissé ma main en haut de l’objectif. Elle dessine au dessus de vos têtes un nuage que rien n’arrivera à faire crever.

Fixés | 2014 | dans le viseur | Tags: ,