(Paul Paula Danièle, octobre 1950)

Elle n’ouvre pas encore les yeux. Les leurs sont ouverts ronds sur leur joie, malgré la fatigue. Ouverts ronds sur leur joie, que pour l’instant ils ne regardent pas.

Il y a quelque chose de distrait dans la manière qu’ils ont de se prêter au jeu de la pose. Bons enfants d’être parents depuis si peu, de bonne grâce ils m’obéissent, se laissent faire, mais ils n’y sont pas vraiment, pas vraiment là devant moi. Leurs visages attendent de pouvoir se tourner de nouveau vers elle, vers ce tout neuf enfant qui n’ouvre pas encore les yeux. Dans la petite crèche de plâtre, Marie et Joseph ne regardent pas le public.

De voir ces deux-là, le visage comme déplacé de ce qui fait son aimantation, je vois la crèche autrement. Je ne vois plus le dos courbé – ce qu’on m’a appris, qu’ils se prosterneraient, qu’ils seraient tristes par anticipation. Je comprends la nécessité radieuse de baisser les yeux vers l’enfant.

C’est comme si la scène de la nativité était dépliée devant moi, comme si les profils sommairement peints des santons  m’étaient donnés à voir en chair et en face.

Ce jeune père heureux, égaré, je l’ai regardé avec les mêmes yeux qu’il a pour sa fille. C’est d’ailleurs sur lui, c’est sur ce fils, ce père, que je fais le point. Tout est plus précis à son endroit, plus contrasté. L’image autour s’égaie en flou et en fleurs. C’est lui toujours que je regarde, je n’en finis jamais de le regarder. Et je vois dans ses yeux à lui, heureux et distraits devant l’objectif, qu’il s’est mis lui aussi à ne plus regarder vraiment qu’un seul point dans le monde, l’endroit où le sommeil et la faim s’emmaillottent.

Le père, la mère, la fille, beau triangle de blancheur pure sur papier peint de paradis perdu, trinité au petit animal humain posé sur champ de fleurs vinyles.

Leur sourire n’a pas besoin d’être élargi, d’être démontré. C’est une esquisse seulement, qui se suffit.

Ici le monde est tout prêt à se creuser de cris, et tout existe, intensément, pour ce bébé, si protégé, si concentré à vivre, à capter la lumière.

Seule étoile : l’interrupteur juste au dessus d’eux.

Seule étoile | 2012 | dans le viseur | Tags: ,