Dans mon bureau, un porte manteau. C’est la seule décoration, presque. Je ne sais pas bien habiter les bureaux, y mettre de ces objets petits et gros sur les tables et dans les étagères, qui disent de vous sans trop en dire, et sur les murs ces invitations aux vernissages auxquels vous fûtes convié, et combien nombreuses. Il y a bien, à gauche de mon ordinateur, une pile de papiers non triés, qui augmente jusqu’à la menace d’écroulement, que j’arase alors, et qui se reforme naturellement : alluvions de la vie de bureau. Quelques aimants tenant aux murs, parfois, telle ou telle image, mais qui ne sait pas y rester longtemps : manque d’adhésion flagrant.
Il y cela dans mon bureau. Et un porte manteau. Le porte manteau je l’utilise rarement : j’arrive au matin en posant mon manteau sur le siège le plus proche, j’allume l’ordinateur, c’est parti. De toute façon le porte manteau est déjà pris. Depuis combien de temps, je ne saurais le dire, depuis avant que j’arrive en tout cas. Plusieurs années, donc. Plusieurs années que j’ai cela comme vue, une veste sur un porte manteau, une veste qui n’est à personne.
Bien sûr j’ai mené mon enquête. La veste ne fut pas revendiquée. Parfois, car c’est un sujet de conversation que j’affectionne, un de mes collègues à qui je fais remarquer sa présence la décroche, regarde la taille, comme tenté. Sera t-il celui qui l’emportera? Non. Toujours, quelque chose l’en dissuade. Et la veste reste là, la veste qui n’est à personne et qui est mon vis-à-vis.
Bien sûr j’aurais pu, j’aurais dû, dès le début, la jeter.
Je ne l’ai pas fait et c’est trop tard.
Aujourd’hui j’aurais l’impression de commettre une grossièreté, quelque chose proche du crime.
On dit dans les tablées, qu’il faut toujours rajouter une assiette, pour le pauvre, pour l’ange, pour l’hôte inattendu. L’hôte, cet être merveilleusement ambigu dont on ne sait jamais a priori si c’est lui qui invite ou qui est invité.
A l’antériorité de la veste, je pourrais en déduire que c’est moi l’invitée. Ce qui expliquerait sans doute, ma réticence à coloniser l’espace, qui n’est pas le mien, de ma décoration personnelle. Une veste de patron, comme rappel que le lieu du travail n’est pas celui de la propriété.
Mais je ressens aussi l’inverse, que cette veste posée là est le vestige de quelque chose que j’accueille chaque matin, une étrangeté venue au coeur du quotidien, et qu’il faut recevoir et chérir. Une veste d’ange, aux entournures un peu grandes.
Car ici comme ailleurs, il faut bien avoir de quoi habiller ses propres absences.