Les dernières fleurs, on les voit flétrir sur pied. De loin elles donnent le change, elles continuent de porter haut, sur une tige sans défaut, leur fanion de couleur. Mais quand on se rapproche, qu’on veut en faire le bouquet, on constate cela, le jaune et le roux qui gagnent sur toutes les autres nuances, les pétales saturées d’une écriture rageuse, toutes ces minuscules pliures que le vent leur a infligées. Certaines corolles aussi, très assombries, surprises par une gelée matinale, mortes mais encore debout.

Et parce qu’on s’y est pris trop tard, on se retrouve aussi avec ces trois citrouilles arrivées à taille respectable, mais qui jamais n’auront la couleur requise pour être consommables. Ainsi, elle restent figées dans une beauté de poterie. Après tout, c’est une récolte quand même, dont peut-être on se souviendra plus longtemps. A ces fruits sans accomplissement, s’accrochent beaucoup plus facilement des rêves de carosses.

S’y accroche aussi comme une appréhension.

Passons à autre chose.

C’est onze novembre, dans la salle des fêtes au papier peint ocre, coupée en deux par une cloison coulissante en accordéon, on se retrouve invités à boire le crémant, en l’honneur de ceux-là, si jeunes, il y a si longtemps, qui moururent à la guerre. Il y a celui mort dans un petit bois au nom si pittoresque, celui mort en permission, mais de typhoïde contractée dans les tranchées, celui gazé, démobilisé, allant rejoindre sa marraine de guerre, lui faisant un enfant qu’il ne verra pas naître, celui mort avant son frère aîné, mort avant, mais de peu, et le mois d’après ce fut le père, puis l’autre frère, et voilà que c’est la deuxième tournée de crémant, et nous passons aux blessés, à ceux qui sont restés sourds d’avoir entendu de trop près l’obus, à celui dont le casque fut traversé d’une balle, qui n’emporta qu’une touffe de cheveux, et à tout ceux revenus, mais pas vraiment, à tous ceux là, morts mais encore debout.

Et nous, nous sommes assis, enfants, jeunes, moins jeunes et vieux, nous sommes assis tous en rond dans la salle des fêtes sur nos chaises en plastique, à écouter celui qui fit ces efforts de recherche à partir des noms gravés du monument aux morts. On écoute ensemble, dans la gaité légère du crémant, et c’est la plus belle revanche sur les fauches.

 

Fauches | 2011 | ni l'un ni l'autre | Tags: , , ,