Sale gosse. Tu l’auras ta torgnole quand je reviendrai tout à l’heure. Au prix que ça coûte un tirage, et en plus, c’est pas tous les jours qu’on est tous réunis.
Ta mère se faisait une joie de nous mettre dans un cadre au salon. C’est foutu maintenant, on peut rien en faire de cette photographie. Tu as bien calculé ton coup. L’instant d’avant que j’appuie tu étais sérieux comme un pape, sérieux comme nous tous. L’instant d’avant tu faisais l’image.
Qu’est-ce qui t’a pris bon dieu? C’est pour faire enrager ta mère, c’est ça? C’est pour qu’elle m’en veuille, d’avoir appuyé à ce moment là.
C’est sûr que je vais prendre moi aussi. Moi surtout. Car toi, finalement, elle croit toujours te tenir. Elle croit toujours que ses mains sur tes épaules suffisent à faire de toi le fils sage dont elle est fière.
C’est moi qui vais prendre. Comme si je pouvais tout prévoir. Comme si c’était facile, de faire rentrer tout le monde dans le cadre, avec une bonne tête pour tout le monde. Comme si j’avais le pouvoir d’élargir à l’envi le champ de vision et faire rentrer dedans le reste de ce qui va avec les seins de tante Agathe, tout en vérifiant que la commissure de vos lèvres à tous se tienne au bon endroit, légèrement vers le haut, et des deux côtés pareil.
Moyennant quoi ils ont l’air tous niais, raides comme des piquets. Sauf toi, évidemment.
Finalement elle est mieux comme ça cette photo. Ça fera un cadre de moins à dépoussiérer sur le buffet. Et au moins on en rira, en la ressortant pour les bonnes occasions, au digestif, de la boîte en fer où va l’enfermer ta mère.