C’est une toute petite fille. Ce n’est déjà plus un bébé. Elle a ces déjà longs cheveux qui font toute la différence. Pour qu’ils soient si longs il a fallu du temps. Ils ondulent sagement, en deux courants calmes et épais autour du visage. On dirait un fleuve sombre contournant une île endormie.

C’est le flux du temps écoulé depuis sa naissance, tout ce temps qu’il a fallu pour que les cheveux soient un peu longs.

Combien de temps?

Les cheveux forment un encadrement sombre à tant de blancheur, le visage, les dentelles de la robe. Une bien grande robe de baptême, une bien minuscule robe de mariée.

On dirait qu’elle dort bien sûr. Sur ce gros coussin.

Mais ses cheveux sont un peu trop longs pour qu’elle soit de cet âge des bébés qui dorment en plein jour et aux yeux de tous.

Au bas de la robe, ses jambes, vêtues d’un collant tellement sombre qu’on les voit à peine, qu’on la prendrait presque pour une poupée de chiffon dont le corps se résume à une robe, et à tout un froufrou de jupons pour lui donner du volume. On les voit à peine ses jambes, et puis quand on les voit on ne sait pas dire où elles finissent, si elles sont courtes ou démesurément longues à en sortir du cadre, et la petite a un air d’Alice du côté des merveilles, de ce côté où l’on rapetisse et grandit, à vue, comme elle dort, sans savoir jusqu’où et quand ça va s’arrêter, et c’est ça qui fait mal un peu, de la savoir si paisiblement posée alors qu’on sait, qu’on voit, qu’elle est aux prises avec de terribles questions de transformation.

Ses deux jambes sombres sortant du blanc de la robe, comme résurgence du fleuve noir qui l’entoure au visage.

Elle dort, le temps qui lui a fait de si longs cheveux l’emporte déjà, bien sûr elle ne se réveillera pas.

(source photo wikimedia : http://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Post-mortem_photography?uselang=fr#/media/File:Meisjekrullen.jpg)

Le temps l’emporte | 2015 | dans le viseur