En face de moi ce soir il n’y avait personne, mais à la seconde station quelqu’un est venu s’asseoir sur le carré d’à côté, seul.
J’ai hésité.
Ce n’était pas tout à fait le programme. Le programme, c’était normalement de s’adresser, sans choix, à la personne en face de moi. Mais dans cette histoire de mains à découvrir, il fallait aussi peut-être que je force celle du hasard, sinon du destin. Alors j’ai fait ce qu’on ne fait généralement pas dans le métro, je me suis rapprochée. D’habitude, on change de place pour être plus seul, avoir plus d’espace.
Là, j’ai suivi le sens inverse. Absurde mouvement?

Désormais j’avais un face à face, un vis à vis.

Un homme avec une sorte de parka, retour de travail je dirais, très neutre.

L’aborder.

J’ai béni tout ce temps où j’étais fumeuse et où, à court de cigarette, j’abordais n’importe qui pour en demander une. Ça aide.

J’ai demandé la photographie, il a dit d’accord. Il n’a donné qu’une de ses mains. J’ai demandé qu’il m’en parle, et là : refus. Il a dit : les photographier, je veux bien, mais en parler… J’ai un peu insisté, j’ai dit : par exemple, là, vous avez une montre (au poignet de la main non photographiée), vous n’avez rien à raconter sur votre montre? Il a haussé les épaules, pas l’air mécontent, juste l’air de considérer qu’il n’y avait rien d’intéressant à raconter la dessus. Sur ses mains à lui.

Ou alors, j’avais franchi là la barrière de l’intimité, une photo ça allait, des mots, c’était trop lui demander.

Mais je brode. Lui, n’a rien dit de plus. J’essayais d’avoir des arguments, mais à quoi ça sert des arguments face à quelqu’un qui ne discute pas?

I would prefer not to. Ce premier contact avait un petit côté Bartleby, muet et obstiné.

Ou alors c’est moi, emportée par ma propre gêne, qui n’ai pas su l’attendre. Car face à ce refus gentil mais catégorique, je me suis sentie obligée de gloser, gloser, sur mon projet, mes propres mains racontées, l’avantage des mains sur le visage, etc.

Le monsieur m’a écouté fort poliment. Je ne sais dire si ça l’intéressait, au fond. Je lui ai laissé l’adresse du blog. S’il vient ici, je lui dis bienvenue, et merci.

Je crois que j’ai déjà oublié son visage. Mais ses mains muettes seront maintenant pour moi un contrepoint à mon agitation.

(je repense à cette phrase que j’ai longtemps laissé affichée dans ma chambre sans qu’elle infuse vraiment en moi : « Reste en toi-même. L’occasion de s’occuper d’autre chose se fait passer pour une nécessité, mais ce n’est qu’un prétexte ». – Abbé de Saint Cyran je crois)

bavarde | 2009 | à mains nues | Tags: ,