Qu’elle est difficile la question du rythme, de l’installation d’un temps qui s’écoute et s’écoule, de l’acceptation des silences. Il a fallu d’abord que j’accepte que ces derniers jours je ne puisse pas continuer au même rythme le projet dans le viseur. En parallèle de cette écriture, je continue d’avancer sur la fiction Etant donnée, qui lui-même se parallélise en plusieurs projets comme une poupée gigogne enceinte de quintuplés eux-mêmes gros d’autres futurs qui poussent et cognent et font que tout, tout le temps, urge.
Je reviendrai plus tard sur cette progéniture en devenir. Là, pendant quelques jours, il y a cette occasion magnifique de ne se consacrer qu’à une seule chose, grâce à une résidence de création proposée par la Chartreuse de Villeneuve les Avignon. Avec Stéphane Gantelet et Juliette Mezenc, nous travaillons à un moment de cette fiction Etant donnée, qui s’appellera Inter(faces). Une restitution publique en est prévue le jeudi 25 octobre à 20H30, à la Chartreuse. Si vous passez pas là, si vous y êtes, venez.
Et vous pourrez dire si on s’en est débrouillés, de cette difficile question du rythme, du temps, du silence. Car bien sûr ce moment de la fiction porte un nom qui l’invite à la démultiplication, donc ce moment est devenu trois moments, et sans doute bien plus, qu’il va falloir faire coexister dans un seul espace, un seul temps. Il y sera question d’écrans, de fenêtres qui s’ouvrent et se multiplient (bien sûr, et encore). Il y sera question de visages qui s’y reflètent et s’y noient, s’y effacent. Il y sera question de peau, d’habits, des robes de Peau d’âne, couleur de temps, de lune et de soleil, et d’une peau de chiffres et de données sous laquelle se cacher, difficile ensuite à faire tomber.
On y verra des écrans, donc. Et un totem inquiétant, chatoyant.
Et puis on y verra Juliette, lisant et jouant ce personnage de l’Etant donnée, et donnant si simplement, si gracieusement corps à cette idée que, malgré tous les dispositifs de captation d’attention et d’image, la présence est mais ne se capture pas. Rien que pour elle, et même si on ne se sera pas débrouillés de tout sans doute, on n’aura pas perdu notre temps, de le laisser s’écouler à faire ça.
_____
Et ici un petit texte pour expliquer (tant que faire se peut) ce que nous allons montrer, et la poupée gigogne Etant donnée :
Inter(faces)
«Face à moi, se présente une instance pleine de sollicitude. Je la connais déjà.
Très souvent elle est là, face à moi. Tous les jours. Son apparente simplicité me désarme et m’appelle.»
Une femme passe, quelque chose d’elle est capté. Son image, son attention, sa présence. Qu’elle soit face à un dispositif de consultation ou de surveillance, elle se mire dans les écrans, dialogue avec eux, comme s’ils étaient miroirs d’elle-même et du monde, capables de tout restituer, de tout redéfinir.
Inter(faces) constitue un des moments de la fiction Etant donnée.
Etant donnée une femme. Vous la retrouvez nue et inconsciente dans un terrain vague. Elle se réveille, amnésique.
Vous aurez la tentation, le devoir, de la rhabiller entièrement en recousant pour elle le manteau de données collectées sur ce que fut sa vie d’avant : nom, prénom, situation, localisation, comportements d’achats, options de vote ou d’abstention, navigation et mouvements absorbés en télésurveillance… Faits, gestes et opinions répertoriés et mis en chiffres, en icônes indiscutables de son identité. Vous saurez tout. Mais que faites-vous en faisant cela, sinon échouer à la rendre à elle-même? Et vous, votre vie s’écrit-elle seulement en données apposées?
A partir d’une fiction poétique inspirée par l’oeuvre célèbre de Marcel Duchamp, Etant donnés, j’ai donc proposé à d’autres, dont j’aime le travail, l’inventivité et la patience, de venir dialoguer avec mes textes pour créer ensemble un collectif volontairement flou, le Collectif Simple Appareil®.
Donc, dans Etant donnée, il y a des morceaux de :
Juliette Mézenc,
Stéphane Gantelet,
Mais aussi de :
Philippe Aigrain, Pierre Ménard, Julien Kirch, Alexandra Saemmer, j’espère bientôt Alexandra Loewe, et peut-être bien de vous si ça vous tente.