C’est un jeu entre vous. Quand tu rentres du travail, que tu ouvres la portière du jardin, le chien déboule, saute tout autour de toi, jappe, remue la queue. Tu lui cries : du calme. Le chien cesse d’aboyer mais pas de gémir. Le chien se calme, autant qu’il peut.
Il te suit vers la maison, empressé, tellement empressé qu’il se met dans tes jambes et manque de te faire tomber. Tu entres dans la maison, le chien t’attend au seuil car il n’a pas le droit d’aller plus loin et il le sait. Il gémit.
Dans l’entrée, tu pose ta veste, ouvre le couvercle d’une petite boîte métallique posée sur l’étagère. Au bruit, les oreilles du chien se redressent. Tout en lui est figé, sauf sa queue, qui bat, frénétique, autonome, réfractaire à toute forme d’ordre et de bienséance.
Tu sors sur la terrasse, le sucre à la main. Le chien recule, car il sait que s’il avance il n’aura pas son sucre. Tu forces le chien à faire cela, reculer. C’est la grande force des habitudes. C’est ta grande force, car comme le chien tu es un être d’habitudes.
Le chien a reculé. Tu élèves la main qui tient le sucre. Tu attends que le chien se soit assis. Il va le faire, c’est irrésistible.
Ta silhouette se détache de l’embrasure sombre. Le chien, lui, se mordore aux couleurs du jardin. Entre vous deux, une colonne porteuse, qui vient confirmer que vous n’appartenez pas au même monde. Toi tu vis dans celui, rationnel, où l’on est dans son bon droit d’avoir soif de pouvoir. Lui, le chien, ne vit que dans une grande avidité de douceurs.