On cherche parfois à s’inventer un nouveau visage. On se regarde avec toujours ce même nez au milieu de la figure et plus ou moins de fatigue autour : on voudrait voyager. C’est manquer d’imagination. Des visages nous en avons tant, qui affleurent à la peau sans qu’on leur demande rien, puis s’éclipsent au moment où l’on pensait s’y habituer. Ce sont des îles volcaniques, brutalement émergentes, primitives, et on ne sait pas comment les cultiver. Ensuite on croit qu’elles vont durer toujours, on se trompe. Ce sont des îles, submergées progressivement par d’autres flux d’émotion, ou bien s’écroulant d’elles-mêmes. Dans les deux cas il faut les déserter bien vite, si l’on veut survivre. On ne fait aucun effort pourtant, un visage de remplacement est toujours là avant qu’on y pense, qui s’impose, comme seuls les refuges s’imposent. Refuge oui, et pourtant on est toujours tout nu dans son visage.

(Un visage, et surtout le sien propre, est une chose du monde qui ne peut se regarder qu’intérieurement)

Parfois on se retrouve avec un visage beaucoup plus vieux que soi. Il en sait moins, il en sait plus, c’est indécidable. Ce qui est sûr : il vient du fond des âges et il en a vu d’autres. Sa stupeur désabusée nous accompagne, on ne se sent ni plus con ni plus sage, et surtout pas plus avancé, car c’est un visage immobile. On laisse le monde venir à soi comme une mouche affolée, on le gobe, on digère, on n’en fait pas toute une affaire.

 

_____

Ceci est possiblement le premier texte d’une série, car je ne sais pas ce qui m’a pris, je me suis mise à dessiner des trucs

Gober | 2014 | la tête que ça nous fait