Tu règnes. Ton képi est ta couronne. Tu sais que régner n’appartient pas à celui qui en a la mission. Tu t’acquittes avec sérieux de ton rôle, tu t’en acquittes sérieusement et humblement, car tu le sais ton royaume n’est pas si grand.
Tu es fier de ton rôle, tu es fier de le servir, de disparaître derrière lui, derrière ton uniforme, ta moustache, tous tes attributs de stabilité, de virilité. Tu es droit et le costume cintré, la ceinture à grosse boucle, savent cacher un ventre qui tient bien moins ces dernières années. Tu tiens tes gants dans la main, en homme d’honneur, en dernier chevalier.
Tu règnes. Tu sais que régner vraiment c’est connaître et non surplomber. Tes chaussures ont foulé la poussière des chemins de tout le canton. Tu sais par coeur chaque dénivelé, chaque coin d’ombre où braconner. Tu as affronté les froideurs des aubes givrées, les annonces de décès. Tu as vu ton ombre se réfugier sous tes pieds quand le soleil était trop chaud, trop haut, tu t’es vu marcher sur l’ombre de ton képi quand ta tête transpirait sans faiblir sous le vrai. Tu as bravé le piquant des arbustes sans jamais faire un accroc à tes manches. Tu sais où se lèvent les perdrix, où se retrouvent l’amant et la femme du boulanger, tu sais d’où découlent toutes les sources et tous les malentendus.
Ton képi, ta couronne, coiffant la colline autant que toi, seul élément t’appartenant légitime à tutoyer le ciel, car le reste de toi se doit d’être ancré à la terre que tu gardes. Tu gardes, la paix, la chasse, l’ordre des choses.