Il faudra tondre la pelouse. Mais vous avez le temps. Vous en êtes pour l’instant à prendre possession des lieux, à jouir de ce nouvel état de propriétaire et de l’air doux du printemps qui reverdit tout. Les euphorbes derrière vous sont joyeuses et chevelues, vous dépasseront bientôt.
Toi, Catherine, tu te tiens la tête haute et les pieds bien plantés. Tu as ce genre de fierté des femmes qui n’ont plus besoin de vouloir plaire pour être belles. Tu es dans la fleur de l’âge, comme on dit ; le jardin tout autour de toi est reverdi. Tu as encore de beaux jours devant toi, tu le sais. Vous avez encore de beaux jours devant vous.
Tu envisages l’avenir car tu n’es pas de celles qui s’embarrassent de passé, de regrets. L’avenir c’est cette maison en face de toi, que tu regardes plutôt que moi, dans laquelle tu projettes déjà des aménagements. Ton menton levé te donne cet air de capitaine qui saura mener un bateau plus gros, qui est capable de relever ce défi. Tu es à la proue, tu respires les embruns, poitrine dégagée, bras croisés derrière le dos.
Toi Raymond, tu sais que tu peux compter sur Catherine pour tenir le cap. Ton torse aimanté et qui tangue si facilement se rapproche d’elle, cherche le contact, la protection, qu’elle te procure toujours, non pas d’être douce mais d’être sûre, car l’étreinte n’est pas dans ses gestes. Ses bras sont croisés derrière son dos, depuis longtemps, depuis ce temps qu’elle sait qu’elle n’y accueillera pas d’enfant.
Le printemps reverdit la vie autour de vous, seules les euphorbes grandiront sous vos yeux et vous dépasseront un jour. Toi Raymond, tu voulais que Chips soit sur la photo, mais elle sautait partout et jappait. Tu la tiens dans tes bras, comme l’enfant que vous n’aurez jamais. Chips n’est pas pour rien dans le choix de cette maison et de ce grand jardin, de ce beaucoup trop grand jardin pour vous deux.