Tu as l’air fier. Tu as l’air sérieux. Non, plutôt inquiet. Mais pourquoi le serais-tu? Tu viens de réussir toutes tes épreuves. Tu as l’air obéissant. Tu es strictement, sobrement habillé. Tu te prêtes à l’exercice de bonne grâce, mais sans sourire. Tu tiens fermement contre toi ta chemise de bachelier. Sans cette chemise on pourrait interpréter ta posture différemment. On pourrait te croire à la messe, au moment du prêche : tête légèrement penchée en avant en signe de concentration, de contrition, épaules rentrées, mains jointes sur le ventre. Il n’y a que les pieds qui ne sont pas bien placés. Ton pied droit est un peu parti vers l’avant, comme si tu voulais déjà te remettre à marcher, comme si cette posture que tu sembles adopter avec le plus grand naturel t’était en réalité un carcan. Tu as l’air fuyant. Tu as l’air, et c’est étonnant dans ce si grand et lourd manteau, tu as l’air frigorifié. C’est vrai qu’il fait froid, mais le soleil est là, les monuments sont éblouis, et sur le sol ton ombre est grande. C’est difficile de faire une photographie dans de telles conditions. Tu es figé, aussi définitivement croirait-on, que ce vase de pierre à ta gauche. Tu es tellement peu présent que tu as l’air vide pareil. Et, plus problématique encore que l’absence d’élan à capter, il y a un tel contraste entre le reste du paysage et toi qu’on a cette impression que tu en aurais absorbé toute la noirceur.

Tu as l’air si sombre, comme si tu gardais par devers toi un secret qui t’enlève toute joie.

Absorber la noirceur | 2014 | dans le viseur