Nous sommes des êtres de langue.
Bien sûr nos bras. Nos bras font ce qu’ils peuvent. Battent l’espace, la mesure du temps qui file. Et nos jambes? Nos jambes nous portent. En coton elles nous portent. Nos mains vissent, sévissent. Nos mains rafistolent, font des trucs. Nos mains cherchent ce qui pourrait les retenir.
Nous sommes des êtres de langue.
Nos organes s’entuyautent et font du gros boulot. Nos organes sont trop occupés à faire qu’au dedans tout découle. On ne peut pas leur en vouloir.
Le coeur bat. Le foie déverse. Nous sommes vivants et ça ne suffit jamais.
Nos ongles sont trop sages. Nos cheveux n’ont jamais porté que des chapeaux et des souvenirs de trop boire.
Nous n’avons pas de crinière, pas de griffe qui lacère, pas de sabots à ferrer sur lesquels galoper et fuir, nous n’avons pas d’autre extrémité que la langue.
Nous sommes des êtres de langue.
Sans la langue nous ne savons que hurler. La langue articule la rancoeur, réinvente la douceur.
Avec nos salives nous mouillons l’espace qui est devant nous. Nous sécrétons des fluides qui sèchent à l’air, en dentelles beaucoup plus solides qu’on ne pourrait le croire. Nous accrochons à rien des nids suspendus dans lesquels dormir en attendant mieux.