Château de Bussy-Rabutin. C’est un petit château d’exil, une réplique, une vengeance miniature contre les pouvoirs en place (pour quoi faire? La même chose, dirait-on, mais peut-être pas tout à fait). C’est un lieu charmant, un domaine, donnant tous les gages de son genre : douves, bassins, chapelle, galerie de portraits, communs.

(Les enfants, ce qui les intéressait : jeter des cailloux dans les douves, les précipiter avec le plus de force possible, constater que rien n’y faisait, la glace était trop prise, les cailloux glissaient sur la surface, inopérants.)

C’est un lieu qui donne tous les gages, et tout y est, mais quelque chose en plus. Une impression de faux, que je ne saurais expliquer autrement qu’en disant qu’il est un mélange de mélancolie (constat de l’échec, n’est pas Versailles qui veut) et d’espièglerie (l’espace de fiction grandit de façon inversement proportionnelle à la superficie des salons d’apparat).

Il faisait froid dans mes bottes en caoutchouc. Même à l’intérieur car ce n’était pas chauffé. Pas éclairé non plus. Alors comment et pourquoi j’ai eu l’oeil attiré par cette sirène maladroite, située tout en bas d’un mur déjà mangé par la pénombre? Comment et pourquoi ce qui doit nous parler vient au devant de nous? Cette sirène je l’ai vu tout de suite, ne l’ai au départ trouvée que plaisante, anecdotique – pittoresque d’être si schématique. Allicit ut perdat, est-il noté. Elle attire pour nous perdre. Bien. Nous voilà prévenus depuis longtemps. Nous voilà prévenus, passons notre chemin. Passons passons, allons au jardin.

Et que nous propose t-on au jardin? Un labyrinthe végétal. Va pour le labyrinthe végétal, les enfants sont ravis. Ils s’engouffrent. Je suis, d’un peu plus loin. J’avance. Je passe par des coudes. Je longe des parois. Au bout de très peu de temps je trouve ça fastidieux. J’attends la bifurcation, l’heure du choix. Ça ne vient pas. Je marche je marche, je tourne à droite, à gauche, je me fais balader. Mais rien ne se passe. Il faut juste marcher, marcher. Au bout de quelques minutes, une éternité, je tombe sur… rien. Je tombe sur la fin. Une impasse. Au bout du chemin le voilà le secret, la révélation, au bout du chemin on tombe sur ce qui nous bordait depuis le début. Sur ce qui nous cernait. Et cette idée qu’on marcherait pareil dans nos vies, avec la même folie morne d’aller sans découragement jusqu’à rien. Que tout parcours serait une erreur, qu’il faudrait rebrousser. Que ce qui nous est demandé c’est cela, passer notre chemin. J’ai obtempéré, j’ai rebroussé. J’avais tellement de rage. Ou plutôt : ce sentiment qu’on appelle l’oppression.

Je suis sortie, je les ai attendu. Mais ils ne revenaient pas. Et je les entendais rire, s’effrayer! Mais de quoi? Et qu’avais-je loupé? Et pourquoi mettaient ils tant de temps à parcourir leur vie quand j’avais grillé la mienne en cinq minutes? Avais-je loupé des allées? J’avais la certitude pourtant qu’il n’y en avait pas d’autres. Et celle plus atroce que si des embranchements avaient été proposés, plutôt que ce sens unique, cela aurait été la même chose. Toujours et seulement la nécessité d’aller à droite ou bien à gauche, de s’engouffrer dans une procédure et de s’y tenir. Toujours la religion de choisir un moyen pour chaque fin. Le triomphe du pragmatisme : adressons bien nos demandes pour qu’elles soient flouées par le bon spécialiste.

Dans le labyrinthe il n’y a bien qu’une seule allée, enroulée, lovée en elle-même. Une trajectoire en involution, débouchant sur rien. Les enfants le savaient, tout comme moi. Mais ils n’y ont pas vu d’impasse. Ce qu’ils ont vu dans le labyrinthe, c’est la promesse de s’égarer. Le dispositif ne tenait pas la promesse? Qu’importe, ils l’ont tenue à sa place. Avec leurs corps agiles et petits, ils ont su traverser les murs de buis. Organiser des trouées. Se perdre, se retrouver. Se rencontrer, avoir cette surprise. Rire. Oublier qu’il y a un but. Oublier l’idée même d’en sortir. Et faire durer le plaisir.

« Elle attire pour perdre ». Grâces soient rendues à la sirène de Bussy-Rabutin, car ma pensée est trop pressée et moins souple qu’un corps d’enfant.  On a parfois besoin de figures pour défigurer l’impossible.

La folie de vouloir aller quelque part | 2013 | ni l'un ni l'autre