Elle est lourde pour toi. 
Elle est déjà lourde – ce n’est plus un nourrisson. Ou bien : elle est encore lourde – tu n’es pas si grande.

Elle est ronde. 
Elle est une balle ronde, jetée dans la mêlée de la famille, c’est toi qui l’a rattrapée.

C’est ton trophée du moment, ton fardeau empesé.
Tu es son socle. 
Le candélabre de la flamme. Pour éclairer quoi devant nous?

Tu fais la petite maman. Tu portes ta plus lourde poupée, celle qui te fais définitivement sortir de l’enfance (c’est moi qui te portais, il n’y a pas si longtemps).
C’est moi qui te portais il n’y a pas si longtemps, tu étais déjà lourde, mais pour moi pas encore lourde – je ne suis pas si vieux. Je te portais, mais pas comme ça, pas avec cette façon de femme que tu as déjà, de te servir de tes hanches pour appui, de porter ce que tu portes pour l’exposer, le donner à admirer. Moi je te portais – t’en souviens-tu? – sur les épaules, tes fesses pointues me faisaient un harnais, tes jambes maigres ballotaient des deux côtés de la poitrine, je te portais pour qu’ensemble nous puissions avancer, aller loin. Toi, tu dois poser. Tu dois la faire poser, elle et tous ses atours. Tu as ce geste sûr et gracieux qui produit déjà, ce creusement de la taille, cet effacement, dirais-je, si féminin.

Mais qu’est-ce qui, sur ton visage, te fait ainsi de l’ombre?

 

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(ma propre contribution à l’atelier d’écriture du 24 septembre à Peuple et Culture) – voir les 3 textes qui précèdent.

L’effacement | 2013 | dans le viseur