Il m’a dit : ça va pas être facile de les faire tenir ensemble, elles sont toujours séparées.
- Toujours séparées?
(J’en ai photographié, des paires, je ne les ai jamais vu avoir du mal à se tenir ensemble dans le cadre.)
Sa réponse, comme une évidence, une généralité, comme s’il ne parlait pas des siennes mais de toutes les mains. Et c’était vrai. Que forcément elles étaient désynchronisées. Que la gauche sur le piano faisait rarement ce que faisaient la droite. Qu’il fallait qu’elles soient disjointes pour accomplir. Qu’il n’y avait qu’au jour de la mort qu’elles se rejoignaient. Et il a fait ce geste de les unir, de les croiser sur sa poitrine, inversant devant moi le tout et le rien pendant qu’il fermait les yeux. J’ai gardé les miens ouverts, ce n’est pas tous les jours qu’on voit comment quelqu’un veut reposer. Bien sûr j’ai regretté de ne pas prendre la photo à ce moment là.
Il a rouvert les yeux. J’ai demandé pourquoi ces mots inscrits, il a répondu que c’est exactement la question qu’il s’était posé en sortant de les avoir fait inscrire, une sorte de vertige prospectif sur le tant de fois où la question viendrait buter contre ses mains. Et pourquoi à cet endroit là? Il a dit, pour cesser ce jeu de cacher/montrer dans lequel on se complait si souvent. J’ai rétorqué qu’il n’avait pourtant pas répondu à ma première question, pourquoi ces mots inscrits. Il m’a dit, du moins j’ai compris comme ça, que ces mots là doivent rester au point aveugle à partir duquel tout le reste se déploie.
Alors je n’ai plus regretté d’avoir laissé passer l’occasion de la photographie aux mains croisées sur la poitrine, et mon propre souvenir promet de rester aveugle à ce moment où le rien et le tout s’unissent.