J’attendais que ça s’ouvre : j’avais le nez sur mon téléphone, à regarder tourner sur l’écran la roue de téléchargement des messages, à m’absorber pour un bref moment dans ce vide circulaire de l’écran en devenir, quand il m’a tapoté gentiment l’épaule.
J’ai mis un moment à accommoder, entre le vide de ma tête et le sourire de la sienne, puis j’ai vu le visage de l’ami.
A la personne qui l’accompagnait il m’a présentée en parlant de mon travail d’écriture. De fil en aiguille, il en est venu aux mains, mais d’une façon contraire à l’expression consacrée, il en est venu avec des mots très doux et élogieux aux mains que j’avais écrites dans le métro, puis il en est venu à la sienne : « au fait, tu as vu comment elle est maintenant? ».
De fil en aiguille, je reprenais le cours de son histoire à lui, en voyant sa paume toute recousue, et sa tentative un peu douloureuse de transformer une cicatrice en trophée, par souci de ne pas se faire plaindre.
Je ne l’avais pas encore vue, sa main d’après l’intervention. Il ne l’avait pas encore vue, ma tête d’après ces mois, douloureux aussi, où intérieurement quelque chose s’est déchiré qu’il a fallu recoudre autrement.
Nous étions debout dans la rame, c’était compliqué, c’était difficile de lui demander s’il acceptait que sa main rejoigne les autres déjà écrites (toujours la peur de céder à la tentation du trophée).
J’ai fini par demander, j’ai pris la photo n’importe comment, avec les doigts sortant du cadre, pour s’arrêter on ne sait pas bien quand. Ça lui fait une bien grande paume, tout un paysage d’anciennes batailles.
Il m’a dit : tu vois, j’ai une nouvelle ligne de vie à présent. Et c’est vrai : parfois quelque chose de nouveau nous traverse, partant orthogonal à ce qui nous accompagne nativement, et cette blessure nécessaire est ce qui nous permet de garder la chance d’avoir les mains ouvertes.