Il faut vous couper un bras. Très vite. C’est nécessaire. Il n’y a pas à réfléchir : pour vous aussi le diagnostic est sans appel. Vous pouvez passer quand vous voulez, sans rendez-vous. N’attendez pas c’est important. Les conséquences, ensuite, si on fait traîner… Les complications… Croyez-moi c’est beaucoup plus sûr d’agir tout de suite. Tout le monde fait ça, maintenant, en préventif. On aurait dû vous le faire avant, je me demande pourquoi on a trainé comme ça. Ou alors c’est vous qui avez refusé? Maintenant il n’y a plus le choix, je vous préviens. On peut même le faire tout de suite si vous voulez, comme ça vous serez débarrassé. Mais je vois que vous hésitez. Vous voulez le garder encore quelques jours. Quelques mois? Vous n’y pensez pas j’espère? Il faut couper très vite, je vous assure. Mais puisqu’on vous dit que c’est pour votre bien… Vous vous sentirez bien mieux après ça. Plus léger. Vous n’aurez plus, par exemple, de ces balancements qu’engendrent la marche à deux bras, et qui créent ce roulis de l’âme. Vous n’aurez plus cette crainte, de ne pas savoir avec quelle main tenir la raquette.
Mais non ça ne fera pas mal. La technique est éprouvée. Depuis le temps. On arrache et puis c’est tout. Vous vous souvenez de vos dents de lait? Celle qui ne voulait pas tomber, qu’on attachait à une ficelle. On attache la ficelle à une poignée de porte, on claque la porte, la dent tombe : c’est pas plus sorcier. Juste une question de cautérisation, ensuite. Mais on sait faire, n’ayez crainte. Une anesthésie? Mais c’est totalement inutile, enfin.
Sincèrement je vous parle d’expérience, votre vie va s’en trouver considérablement améliorée. Votre santé. Et vous verrez qu’on se passe très bien des chaussures à lacets. Pour le reste, tout est exactement comme avant. En plus simple. Finis les pulls à deux manches, si désespérément symétriques, à ne pas savoir distinguer devant-derrière. Finies les mains sous la table. Qu’auriez-vous à regretter? Ce qu’on vous enlève c’est le bras qui ne sert à rien. Si vous êtes vraiment honnête avec vous-même, vous admettrez que vous n’aviez même pas conscience qu’il était là, avant qu’on vous dise que vous ne pouvez pas vivre avec. Vous doutez encore? Mais deux bras, quand même ! À notre époque! Franchement c’est trop! Quelle dépense d’énergie! Tout ça de muscles superfétatoires qu’il faut nourrir et mouvoir… Tout ça d’os inefficaces à porter constamment…. Tout ça de sang à faire circuler… Et puis songez au ridicule. Vous dans la rue avec encore vos deux bras. Tellement… Inadapté. Vous dans la rue avec votre bras qui dépasse. Au vu et au su de tous. Allez vous voyez bien que ce n’est pas pensable….
Je vous sens très agité… Bien, je pense que le mieux maintenant c’est que vous rentriez chez vous. C’est ça : rentrez chez vous, et repassez demain : ça peut bien attendre encore quelques heures.