( 2 août 1942 -En forêt de Fontainebleau près de Verreux)
On passait par là avec ma femme, mes enfants et notre épagneul, on se promenait. Les deux petits couraient loin devant avec le chien, rebroussaient chemin jusqu’à nous, repartaient en arrière, revenaient, et ça faisait comme un fuseau de roux et de rires qui nous emportait le long de l’allée. Ils étaient repartis devant, on les voyait au loin. Ils ont couru jusqu’à l’orée de cette clairière. Arrivés là, les enfants se sont arrêtés net. Le chien ne comprenait pas leur soudaine immobilité, il sautait et jappait autour d’eux. Nous nous sommes approchés, silencieusement ils nous ont attendus, regardant ce nous ne pouvions voir depuis l’allée, regardant vers la clairière.
Je les ai vu tous les trois, j’ai vu la peur entre nous.
J’ai voulu nous éloigner tout de suite, j’ai voulu qu’on passe notre chemin sans insister, pour oublier qu’on les avait surpris, qu’ils nous avaient vus, que nous étions tous fragiles et méfiants ces derniers temps.
Mais lui, m’a appelé, s’est levé.
En venant vers moi il ne souriait pas, pas vraiment.
Il portait un boîtier noir à la main.
Il m’a expliqué en mots brefs le fonctionnement de l’appareil, est allé se rasseoir.
Que voulait-il garder de cet instant si raide? C’est comme s’il cherchait à fabriquer pour nos yeux le prétexte d’être ici.
Derrière moi ma famille posait aussi, mes enfants sagement rangés à droite et à gauche de leur mère, et l’épagneul aussi restait figé, assis au pied.
Chiens de faïence.
Il y avait un tel silence dans la clairière que le déclic de l’appareil nous a comme réveillés.