Ce qu’il y a c’est que j’ai toujours aimé marcher.
C’est en allant à Sintra, il y a plus de deux ans, que j’ai appris, par un journal gratuit laissé là par un voyageur précédent, c’était à la fin du mois de juin, que Bamby
avait cassé sa pipe : je me suis dit, plutôt triste (à cause de « Beat it », de sa marche à l’envers, de cette façon de ne pas se voir en noir) qu’il avait mis fin à ses jours, ou quoi ?
Le train allait
depuis la gare de Lisbonne où les portes sont incluses dans des ornements de fer à cheval en stuc. On y accède par un escalier où des gens ont fait peindre des traces d’eau qui ruisselle sur les marches, un escalier roulant double le fixe, on aboutit aux voies qui donnent sur une terrasse qui domine Rossio qu’on voit un peu loin, il y a là un café. Le tout se trouve dans les mauves.
J’aime le train, mais j’aime surtout marcher. Les rues qui longent le port, prenez à partir de la gare de Cais de Sodré l’avenue du vingt quatre juillet, suivez-la, jusqu’à ce qu’elle devienne l’avenue des Indes et que vous passiez sous le pont du vingt cinq avril à double tablier, et au loin, vous verrez Bélem.
Il y aura là des animaux qu’on entrave de couleurs tragiques.
Il y avait des chiens sur la route, en marchant le long du rivage, non loin de ce lieu où Pereira, à ce qu’il prétend, s’est baigné avant d’arriver à cette clinique où il devait perdre du poids. Le temps se téléscope. Les étoiles filent aux ciels.
C’est que j’aime marcher, je suis le trajet des rues, sur le trajet des rues je descends le flanc nord de la vallée du fleuve, la ville ma ville est là, en son centre on trouve une fontaine,
dominée par une colonne sur le haut de laquelle flotte un ange, tenant dans ses mains un laurier je crois.
Traverser le fleuve, continuer vers le quartier latin, obliquer vers Denfert, gravir les flancs de la vallée, au sud, les portes, Orléans ou Orly…
C’est que j’aime marcher, mais chacun de mes pas me conduit, inévitablement, vers ma fin. La vie est un jeu aux règles qui à nous, humains, sont parfaitement déloyales : pourquoi continuer à jouer, et encore ?
Je marcherai. J’attendrai, prendrai les autobus, Lino Ventura me sera proche comme il l’est aujourd’hui, « L’armée des Ombres » et ses petites lunettes,
demander l’arrêt, se préparer, se rapprocher, les difficultés, descendre, et rejoindre la maison en marchant, lentement. Des cannes, peut-être. Lorsque je ne pourrais plus avancer, mes jambes refuseront de me porter, « du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit », devant moi
Ce qu’il y a c’est que j’aime marcher, des chaussures, des chaussettes, j’avance, la rue descend vers le fleuve, la République, la rue du Temple, je marche, j’avance, je me souviens « Billy Jean », sa marche à l’envers, cet enfant qui chantait, ses frères et sœurs, ils étaient cinq, et cette autre chanson, Brassens « j’ai vingt six ans, mon vieux Corneille, et je t’emmerde en attendant »…
J’aime marcher, voilà ce qu’il y a
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Pour ces vases communicants, Piero Cohen-Hadria m’a proposé que nous nous donnions chacun une photo, libre à nous d’écrire à partir de cette image. Je lui en ai proposé trois, il m’en a proposé trois, et finalement nous avons choisi de les utiliser toutes les six. Merveille de voir des mondes si différents se déployer à partir des mêmes jalons. Vous pourrez lire ici mon propre texte partir des mêmes images. Et merci à Piero d’avoir si bien marché dans cette combine…
Pour lire tous les textes de ce rendez-vous des vases de septembre, aller ici. Et merci à Brigitte Celerier, pour ses textes, son attention à ceux des autres, pendant les vases communicants et toujours.