Il chaussait du 44, celui qui a perdu sa chance. Et comment il se tenait dessus, difficile à savoir. A voir le talon tavelé, on peut échafauder deux hypothèses, soit le pied vainqueur planté dans le sol à chaque pas comme si ça repoussait, soit le poids un peu déporté vers l’arrière, tentative un peu vaine de freinage, et combien fatigante, sans doute.
Il chaussait du 44, et comment a t-il fait pour perdre sa semelle dans la rue, une démangeaison soudaine et irrépressible, peut-être, alors s’arrêter vite, comme ça, en plein milieu, dénouer déchausser, gratter gratter gratter et puis, dans la légère narcose du soulagement, oublier de tout remballer. Ou alors, il se sera désintégré, sous les yeux de personne dans cette rue peu fréquentée. Et ne resterait de lui que ce souvenir un peu plus coriace que le reste. Le reste, on n’en saura jamais rien, s’il était blond, gras du bide, vieux, antipathique, pauvre, en cravate, sujet aux insomnies, plein d’attention envers sa femme, triste en écoutant certaines chansons, ou bien sujet aux ulcères.
Il chaussait du 44, mais combien pesait-il, combien mesurait-il? Et pourquoi d’ailleurs évoquer ces mensurations au passé? Il doit bien continuer d’évoluer de par le monde, sans doute pas loin d’ici, délesté, seulement, de quelque chose : un amortisseur trop grand pour moi, je le crains. D’ailleurs, cette chance là, je ne l’ai pas saisie.