Il a fait froid ce jour là. Beau mais froid, l’air était comme trop vif, le vent nous prenait de côté pendant la procession.
Il sera content André, de recevoir cette photo. Si elle arrive.
Nous ça allait, on avait les manteaux. Mais la petite je sais qu’elle avait froid. Ses épaules sont un peu trop hautes, comme si elle tentait de rentrer le cou dans sa robe. C’est du coton fin, même si c’est empesé ça ne pèse pas lourd de chaleur. Ses mains sont enfouies dans le blanc .
André a-t-il chaud, lui?
Elle n’a rien dit quand j’ai demandé qu’elle pose. Je crois qu’elle était trop impressionnée, comme empesée elle aussi en même temps que la robe. Peut-être même avait-elle peur, quand la peur nous quittait, nous, pour la première fois depuis longtemps.
Ses lèvres sont pincées dans un sourire timide.
Pendant la cérémonie je la voyais de profil, elle regardait le prêtre mais elle ne le regardait pas, elle avait l’air de s’ennuyer un peu. Elle a souvent cet air, d’être là sans être là. Son corps si pâle, si sage, est comme un gage à nous laissé, pendant qu’elle s’absente. Il n’est pas sûr qu’elle s’absente pour aller quelque part. On ne peut pas dire encore, si c’est une nature.
Elle ne dit pas, si elle pense à son père. Dix mois qu’il est là-bas.
J’ai pris la photo pour lui, pour qu’il voie sa fille en ce jour, devant la devanture de son café, que j’essaie de faire tourner comme je peux depuis qu’il est prisonnier.
Elle est là, ses deux petits souliers blancs posés sur le pavé, frêles attaches au sol. Elle  penche du même côté que celui où vont l’ombre et le vent. Ce qui la retient et l’encadre,  c’est le rideau blanc de la devanture, ouvrage tendu en protection de pureté, d’occultation. D’ici on ne voit pas que ce ne sont pas des prières qui sont accrochées dessus, mais le tarif des consommations.
Est-ce cela, ce triste hymen sous vitre, qui pourra la retenir, prise qu’elle est dans le dangereux tangage qui menace d’emporter son enfance, et notre monde?

Si elle arrive | 2012 | dans le viseur | Tags: , ,