J’étais dans cette gare où j’ai si souvent attendu. Vierzon. Ah Vierzon ça ne vous fait pas rêver? Voir Vierzon, voir Vesoul. Vierzon n’est pas une destination. Mais si on lit cette ville pour ce qu’elle est, une correspondance, alors elle s’ouvre et se déploie, le ciel y est grand, l’horizon est repoussé toujours plus loin. Les départs ont la certitude métallisée des lignes de fuite. Les portiques des lignes électrifiées se découpent dans l’air transparent des dimanches soir. Ce sont des potences pour toutes les idées qui vous feraient rester. Il y a ce vertige : quinze lignes parallèles qui vont s évaser, s’aiguiser deux à deux à même la chair de paysages neufs.

Dans le haut-parleur on entend plus souvent Nevers Bourges Mehun-sur-Yèvre qu’Istanbul ou Ispahan. Pourtant c’était tout un rêve d’ailleurs car il y avait Paris, aussi, dans le haut parleur. Paris depuis longtemps n’est plus un ailleurs mais il reste cela : une joie, une jeunesse, quand je suis seule sur les quais de Vierzon.

Et puis surtout il y a, suspendu dans le bleu et enjambant les voies, un très massif pont de fer, peint en rouge, vert, bleu, jaune, et support de tant de rêveries. Peu importe les destinations annoncées, ce pont était l’arche et l’oiseau.

J’ai voulu cette fois-ci prendre l’image de ce pont dans le couchant, comme si son mystère pouvait résister à une telle mise à plat. J’ai pris une photo, ça ne donnait rien, et comme toujours quand je prends une photo, je me suis rapprochée pour en prendre une deuxième, et puis encore plus près, et une autre,…

Je me suis retournée, j’étais loin désormais. Loin des autres. Légère griserie à Vierzon.

Mais très vite sur un quai parallèle une silhouette s’est détachée du point d’encombrement, d’engloutissement, pour remonter jusqu’à moi, me héler. Regardez la photographie, on la voit remonter. C’était un contrôleur, il m’a dit : « On ne prend pas de photo ».

La griserie est retombée comme une herse. J’ai vu, comme je vous vois, tout autour de moi, les frontières invisibles. Car nous sommes libres bien sûr, libres de circuler, libres de cueillir. Nous sommes libres d’évoluer, oui, mais dans la limite des plages disponibles.

Et quand j’ai rebroussé chemin vers l’endroit des quais où il y avait du monde, vers le contrôleur, c’est tombé comme ça que dans mes écouteurs passait la chanson L’Europe de Noir Désir et on en était au moment exact où Brigitte fontaine psalmodiait à la manière des messages codés de la BBC :

« La vérole sur vos gueules, je répète, la vérole sur vos gueules »

Et puis un peu plus tard :

« Si vous ne trouvez plus rien cherchez autre chose. »

 

 

 

Lignes de fuite | 2011 | ni l'un ni l'autre | Tags: , , , ,